La piste de 98 (The Trail of ’98) – Clarence Brown – 1928
Résumé :
En 1898, des milliers de personnes convergent vers le port de San Francisco et s’embarquent pour l’Alaska, où de l’or a été découvert l’année précédente. Beaucoup d’appelés donc ; mais peu d’élus réaliseront leur rêve de richesse, car les obstacles sont nombreux, à commencer par les éléments naturels…
Contexte :
Ce grand film d’aventure de la fin de l’ère du muet est une production de la Métro-Goldwyn-Mayer, studio que Bertrand Tavernier qualifie d’ « insulaire » et « particulièrement réticent à tourner en extérieurs, à quelques exceptions près avant 1934. »1
La piste de 98 est une de ces exceptions.
Et quelle exception : tournage en extérieurs par des températures glaciales, des milliers de figurants, plusieurs cascadeurs morts, des bagarres sanglantes et une dureté sans concession.
Ce récit prenant place durant la ruée vers l’or du Klondike (Alaska) à la fin du XIXème siècle est tiré d’un roman de Robert William Service, auteur anglais surnommé le « Kipling canadien ». Poète vagabond, Service part s’installer dans le Yukon, région du Canada, et y écrit ce roman sur la ruée vers l’or dans une cabane en rondin près de celle habitée par Jack London auparavant. Véritable aventurier, il réalise un périple de plus de 3.000 kilomètres à pied, en diligence, en bateau et canoë et terminera sa vie en Bretagne française à Lancieux près de Saint-Malo, où il est enterré.
Son roman The Roughneck : A Tale of Tahiti est porté à l’écran en 1924 par Jack Conway sous le titre français Le ravageur avec George O’Brien et on peut le voir faire une apparition non créditée dans Les écumeurs (The Spoilers) de Ray Enright aux côtés de Marlène Dietrich.
L’adaptation est signée Benjamin Glazer, déjà auteur du script de La veuve joyeuse de Stroheim et du superbe La chair et le diable de Clarence Brown en 1926. Membre fondateur de l’Academy of Motion Picture Arts and Science, gagnant de deux Oscars, on lui doit également les scénarios de deux magnifiques films de Frank Borzage que sont L’heure suprême et L’adieu aux armes. Son travail sur La piste de 98 est tout à fait remarquable, s’attachant à « retracer avec une grande fidélité le drame des ces hommes et femmes »2 et mélangeant avec justesse aventures et sentiments.
A noter la présence de Joseph Farnham, en charge des intertitres. Récipiendaire du premier et unique Oscar des meilleurs intertitres en 1929, Farnham est un collaborateur régulier de Tod Browning, et travail aussi sur Les Rapaces de Stroheim et La grande parade de Vidor. Lors de l’arrivée du parlant, on fait appel à lui pour écrire les dialogues de plusieurs films mais il meurt prématurément en 1931 d’une crise cardiaque à l’âge de 46 ans.
La réalisation de ce projet de grande ampleur est confiée à Clarence Brown, cinéaste en contrat à la MGM depuis déjà quelques années (il restera fidèle au studio jusqu’à la fin de sa carrière en 1953). Après des études d’ingénieur, Brown intègre le cinéma et devient assistant et monteur de Maurice Tourneur. Ils codirigent ensemble trois films, dont Le dernier des Mohicans en 1920. Bertrand Tavernier écrit à propos de cette collaboration : « Il est certain que Brown hérita de son mentor cette prédilection pour les atmosphères artificielles, pour les extérieurs reconstruits en studio, pour les plans d’ensemble et les cadres amples, pour les problèmes formels, au détriment parfois de tout sentiment de réalité. »3
En ce qui concerne La piste de 98, rien de tout ça ne se vérifie. Bien au contraire.
Souvent associé à Greta Garbo, avec qui il tourne sept films (dont La chair et le diable et Anna Karénine), Clarence Brown a été quelque peu boudé, voire même oublié, par une grande partie des critiques et des historiens du cinéma. Pour preuve cet ouvrage intitulé Clarence Brown – Hollywood’s Forgotten Master, écrit par Gwenda Young et publié en 2018 aux USA et qui propose de revenir sur la vie et l’œuvre de ce cinéaste qui mit en boîte plus de cinquante longs-métrages et fit tourner Clark Gable, Katharine Hepburn, Elizabeth Taylor ou encore Mickey Rooney et Joan Crawford. Cette dernière dira n’avoir « jamais connu un réalisateur plus respectueux et soucieux de chaque détail, de chaque minute, de chaque scène. »4
Et Clarence Brown de déclarer lui-même à propos de La piste de 98 : « C’est le film le plus dur de tous ceux que j’ai tourné. »5
Et l’on veut bien le croire.
A la photo, on retrouve le vétéran John F. Seitz, qui commence sa carrière en 1916, notamment sur la série de film d’Henry King avec Little Mary dont nous parlions dans notre article sur La conquête de Barbara Worth. Sa carrière est tout à fait exemplaire, tournant avec Vidor, Korda, Dieterle, Farrow, Parrish, Walsh, Daves, Curtiz et trois fois avec Billy Wilder. Son travail sur La piste de 98 est remarquable, tant dans sa capacité à filmer les paysages enneigés que son utilisation des travellings avant et arrière pour traduire les émotions des personnages.
Le casting est bâti principalement sur quatre acteurs célèbres de l’époque, tous de nationalités différentes : Dolores del Rio, Ralph Forbes, Karl Dane et Harry Carey.
Véritable star du muet, Dolores del Rio rencontre le succès avec What Price Glory ? de Raoul Walsh en 1926, cinéaste qu’elle retrouvera pour La danse rouge deux ans plus tard. Contrairement à certaines de ses collègues de l’époque, l’actrice mexicaine réussit avec succès le virage du parlant. Elle est Madame du Barry pour Dieterle, Un oiseau de paradis pour Vidor, mais quitte Hollywood au début des années 40 pour tourner dans son pays natal avec encore plus de succès. Elle revient tout de même tourner deux fois pour John Ford (Dieu est mort et Les cheyennes) et sera la mère d’Elvis Presley dans le beau western Les rôdeurs de la plaine de Don Siegel en 1960.
Dans La piste de 98, elle interprète Berna, une jeune femme courageuse qui part tenter sa chance en Alaska avec son père aveugle. Engagée d’avance comme serveuse dans le restaurant que va ouvrir un couple d’amis de son père, Berna tombe amoureuse d’un jeune homme pour qui elle sacrifiera beaucoup de choses.
Larry, le jeune homme en question, est joué par l’acteur anglais Ralph Forbes. Celui-ci commence sa carrière en 1921, mais peine d’abord à trouver des rôles. Il trouve enfin le succès aux côtés de son compatriote Ronald Colman (La conquête de Barbara Worth) dans la première version de Beau Geste en 1926, puis tourne ensuite avec Lon Chaney, Lillian Gish, Norma Shearer et John Gilbert. Forbes réussit lui aussi le virage du parlant, même si sa carrière n’est pas des plus brillante. On le voit dans le Roméo et Juliette de Cukor, le Marie Stuart de Ford, et le Train de luxe d’Hawks.
Doté d’yeux d’un bleu très clairs qui lui donnent un regard des plus intense, regard que Brown saura utiliser et mettre en valeur dans La piste de 98, Forbes interprète ici Larry, un jeune homme plein de rêves et d’espoirs, prêt à tout pour faire fortune, y compris risquer de perdre la femme qu’il aime.
D’origine danoise, Karl Dane arrive à Hollywood en 1916. Ses débuts sont difficiles, et il quitte même l’industrie en 1918 pour se marier et travailler à la ferme. Sa femme meurt en donnant naissance à une petite fille qui ne survit pas non plus. Dane vit des temps difficiles. Son salut arrive en 1925 lorsqu’il est choisi par King Vidor pour jouer Slim dans La grande parade, immense succès. Il signe alors un contrat confortable avec la MGM, tourne avec Lillian Gish, John Gilbert et dans d’autre succès comme La bohème, Scarlet Letter, Bardelys ou encore Le fils du Cheik. L’arrivée du parlant ne condamne pas sa carrière immédiatement, mais les rôles se font de plus en plus rares pour lui. Après de mauvais investissement financier, il se retrouve ruiné, devient garçon de café, et finit par se suicider en le 14 avril 1934.
Aussi grand et costaud qu’un peu benêt, il incarne dans La piste de 98 un personnage à la fois drôle, violent et tragique, qui n’a de cesse de se faire entuber par les autres.
Le dernier nom du casting, et pas des moindres, est celui d’Harry Carey. Acteur pionnier d’Hollywood, Carey débute dans des courts-métrages de D.W. Griffith et devient une star du western à partir de 1916. Sa rencontre avec John Ford est déterminante et ils font tous leurs films ensemble pendant trois ans. Son interprétation du personnage de Cheyenne Harry dans une série de 23 films à succès à la fin des années 1910 le propulse parmi les acteurs les mieux payés d’Hollywood. Par la suite, il doit faire face à une concurrence rude chez les cowboys du cinéma avec le succès de Tom Mix, Hoot Gibson ou encore Buck Jones.
Après s’être retiré du cinéma à l’aube du parlant pour se consacrer au music-hall, Harry Carey revient à Hollywood et joue des seconds rôles jusqu’à sa mort en 1947. On le voit notamment chez Henry Hathaway (Man of the Forest, Ames à la mer, Le retour du proscrit, Crépuscule), Howard Hawks (Ville sans loi, Air Force, La rivière rouge), John Ford (Je n’ai pas tué Lincoln) ou encore King Vidor (Duel au soleil) et Fritz Lang (Casier judiciaire).
Dans La piste de 98, Carey joue le bad guy de l’histoire, Jack Locasto. Un personnage violent et cynique, capitaliste extrémiste pour qui l’argent permet de tout acheter, y compris les femmes.
Enfin, pour terminer côté casting, il est à noter la présence non créditée au générique de Francis Ford, frère de John Ford ; du futur réalisateur Jacques Tourneur ; ainsi que de Clarence Brown lui-même (c’est en tout cas ce qu’affirme Patrick Brion dans son encyclopédie sur le western).
Derniers points à aborder avant de nous lancer dans cette rude ruée vers l’or : le montage et le format du film.
En effet, lors de sa sortie le 20 mars 1928, le film est en deux parties : une première de 66 minutes et une deuxième de 61 minutes, soit près de 2h10 de métrage. Malheureusement, cette version longue est aujourd’hui disparue et la seule copie survivante, diffusée sur TCM et sur laquelle se base notre analyse, a été retrouvée dans ce qui était à l’époque la Tchécoslovaquie. Une censure forte ayant régné dans ce pays, le film a donc été amputé de nombreuses séquences pour arriver à une durée d’1h23.
Il va sans dire que même si la seule copie survivante est déjà un petit miracle en soit, une restauration digne de ce nom ne serait pas superflue !
A savoir enfin que lors de sa première à New-York, deux séquences furent projetées avec un dispositif appelé Fantom Screen. Contrairement à une idée reçue, il y a des expérimentations pour filmer et projeter en grand – voire géant – écran dès les débuts du cinéma : Biograph, Cineorama, Widescope, Magnascope, Grandeur, Vitascope, les inventions sont multiples pour en mettre plein la vue aux spectateurs.
Parmi elles, le système inventé par Joseph Vogel et J.J McCarthy pour la MGM et nommé Fantom Screen repose sur un objectif à focale variable (jusque-là rien de très innovant) couplé à un système permettant d’avancer ou reculer l’écran lui-même sur la scène.
Lors de sa présentation, le magazine Variety prédisait que la MGM ne pourrait plus se passer de cette invention incroyable. Elle fut pourtant rapidement abandonnée, le seul autre film ayant vraisemblablement été projeté ainsi étant le 42nd Street de Lloyd Bacon.
ANALYSE :
Départs et espoirs
Entre 1896 et 1899, environ 100.000 prospecteurs se ruèrent vers le Klondike, une rivière canadienne de la province du Yukon, espérant y faire fortune en y amassant de l’or. Entre 30.000 et 40.000 personnes arrivèrent sur place, et seulement 4.000 trouvèrent effectivement de l’or. Cet engouement inspira des romanciers (Jules Verne avec Le volcan d’or ; Jack London avec L’appel de la forêt) mais également des cinéastes (Charlie Chaplin avec La ruée vers l’or ; Anthony Mann avec Je suis un aventurier ; Henry Hathaway avec Le grand Sam). Le film de Clarence Brown qui nous intéresse ici étant surement le plus dur, le plus cruel, le plus impressionnant et le plus réaliste ayant été fait sur le sujet.
Le long-métrage débute par le retour d’un bateau en provenance d’Alaska qui entre dans le port de San Francisco. Jack Locasto est de retour au pays, déchargeant ses millions de dollars en or. La nouvelle se répand alors dans tout le pays, et Brown illustre cela de façon dynamique et très visuelle : une carte des USA, un mouvement de caméra jusqu’à une région précise et les mots « GOLD » et « KLONDIKE » qui apparaissent en surimpression et grossissent à l’écran.
C’est alors l’occasion de faire connaissance avec les différents protagonistes du film, venant de différentes
régions du pays.
En Caroline du Sud, il y a d’abord les frères Jim et Joe, inséparables et partageant tout ; un enfant d’une dizaine d’année, caché dans un train ; et le conducteur du train lui-même qui, au lieu de dénoncer cet enfant, lui annonce qu’il partira lui aussi au Klondike et le prendra sous son aile.
Puis le dispositif carte/mouvement de caméra/mots se répète, direction le Michigan, cette fois-ci.
Et voici Lars Petersen (Karl Dane), visiblement en train de se faire rouspéter part sa femme qui lui hurle : « Qui est cette femme nommée Alaska dont tu parlais dans ton sommeil toute la nuit ? ». Pour échapper à cette mégère qui le frappe, le poursuit et n’hésite pas à lui jeter un fer à repasser, Lars saute à bord du train, direction le Klondike.
Même dispositif. Direction le Kansas.
Autour d’une table, une famille nombreuse, et des assiettes assez peu remplies. Le grand-père arrive : « Je pars au Klondike ! », et le patriarche répète le mot « gold » en souriant.
Dispositif. Nevada.
Des prospecteurs, ayant visiblement épuisé les gisements du désert.
Et retour sur les quais de San Francisco, peu avant le départ. On y découvre Berna, accompagnée de son père aveugle. Ils sont rejoints par un couple, Mr et Mme Berkeley, qui ont l’intention d’ouvrir sur place un restaurant et d’y engager Berna comme serveuse. A noter que Mme Berkeley est interprétée par Emily Fitzroy, qu’on a pu voir dans A travers l’orage de Griffith ou Notre héros de Borzage, tous les deux dans des rôles de marâtre acariâtre. L’actrice tournera d’ailleurs son ultime film sous la direction de Clarence Brown en 1944 dans Les blanches falaises de Douvres.
Un plan nous montre les différents personnages monter à bord du bateau par une succession de fondus enchaînés. A l’exception de Larry qui, lui, monte à bord clandestinement. De nombreux hommes quittent femmes et enfants avec tous la même phrase, le même espoir : « Je reviendrai avec des millions de dollars. »
Enfin, il est temps de partir. Impressionnants plans avec ces centaines de figurants sur les quais, saluant les passagers en partance vers la gloire.
Ou vers l’enfer.
Voyage au bout de l’enfer
Le voyage de tous ces protagonistes commence donc sur ce bateau, sur lequel vont se nouer les relations : en se cachant dans la cabine de Berna, Larry va tomber sous le charme de la jeune femme ; la rivalité entre Larry et Jack Locasto prend racine ici, suite à une histoire de triche à des jeux d’argent.
Et déjà, la violence est là. Une bagarre éclate. Pas une bagarre de saloon, où les coups pleuvent sans que les personnages n’aient une égratignure. Il y a deux coups de poings. Très brefs. Et le visage de Larry, ensanglanté.
Tout ce petit monde arrive enfin à leur première destination. Scènes de liesses, les visages sont souriants, les yeux emplis d’espoirs. « Le pire est passé ! », s’exclame même avec soulagement l’un des personnages.
Mais le pire est bien devant eux.
Et voilà le froid. Et la neige. Et le vent. Et la boue. Et la fatigue.
Et la caméra elle-même de se mettre elle aussi en mouvement, accompagnant dans une série de travellings arrière les personnages marchant péniblement sur les chemins gelés du Yukon.
Le véritable voyage a commencé.
Pour nous plonger dans ce froid extrême et nous faire ressentir les difficultés surmontées par les personnages, Clarence Brown met au point avec son chef opérateur John F. Seitz un autre travelling arrière qui suit l’enfant traverser une étendue d’eau glaciale, mais cette fois-ci en plan-séquence de près d’une minute trente. Ne pas couper. Donner une impression de temps réel, pour rendre les sensations de l’enfant encore plus réelles elles aussi, plus insupportables.
Voici le plan en question :
Vient ensuite une séquence d’avalanche meurtrière, réalisée avec un système de surimpression tout à fait convaincant. Le père de Berna y trouve la mort.
Puis l’impressionnante ascension du col de Chilkoot, avec cette file d’être humains qui sont comme des fourmis perdues dans une immensité blanche. Là encore, c’est l’hécatombe. Lorsqu’un type demande à l’ex-conducteur de train comment va l’enfant, la réponse est aussi courte que cruelle : « Il est mort. ».
La montagne ne fait pas de cadeaux.
Et la rivière non plus, ne fait pas de cadeaux. Dans la fiction, comme dans la vie réelle : en effet, lors du tournage de la séquence des rapides de Copper River, quatre cascadeurs trouvent la mort par noyade.
Les cascadeurs Paul Malvern et Bob Rose racontent « The Trail of ’98, produit par la MGM, était probablement l’un des films les plus désastreux de cette époque, parce qu’on a perdu quatre hommes dans une scène. […] Des cordes de sécurité avaient été passées à travers la rivière, équipées de boucles. Le réalisateur de deuxième équipe était censé faire en sorte que les boucles soient renforcées avec du fil de fer, ce qui les maintiendrait ouvertes. Mais il ne l’a pas fait. Les hommes n’ont pas pu s’accrocher et se sont noyés. […] Nous avons cherché pendant 10 jours, nous avons finalement trouvé deux des corps. Mais nous n’avons jamais trouvé le corps de Red Thompson. »
Pour en savoir un peu plus sur cette tragédie, voir cet extrait du 5ème épisode intitulé Hazard of the game tiré de la série documentaire Hollywood de Kevin Brownlow et David Gill :
Heureusement, les tragédies décrites dans le film de Clarence Brown sont contrebalancées par des séquences plus légères, même assez drôles, notamment par le biais du personnage de Lars. En effet, celui-ci s’étonne d’avoir mal partout suite à leur longue marche dans la neige alors que son acolyte semble en pleine forme. C’est que Lars ne s’est pas rendu compte que Samuel, qui marchait derrière, s’est en fait aidé durant la marche en s’agrippant au fer à repasser accroché au sac de Lars.
Puis, plus tard, alors qu’il faut scier du bois pour construire des bateaux, Lars se fait à nouveau avoir par Samuel qui pique du nez au lieu de faire sa part de boulot. Mais il ne faut pas trop lui faire à l’envers, non plus, à ce grand dadais de Lars. Car il peut se fâcher.
Arrivée et désespoir
Et voilà tout ce beau monde enfin arrivé à destination.
Le Klondike.
L’or.
La richesse.
« We’ve won ! » s’écrit Larry.
Mais aussitôt, c’est la douche froide. Les prospecteurs déjà sur place les accueillent en leur disant de faire demi-tour. Une personne sur mille trouve de l’or. Il y a trop de monde et pas assez de travail.
Bientôt, Larry et Berna sont sur la paille. Il n’y a plus d’espoir. Faire demi-tour. Prendre le bateau qui part le lendemain matin, et rentrer au bercail. Mais Salvation Jim annonce à Larry qu’un nouveau gisement a été trouvé à Nome, à l’extrême pointe Ouest de l’Alaska. Encore un autre travelling avant très efficace, qui nous montre Salvation Jim parler avec entrain à l’oreille de Larry, dont les yeux s’ouvrent de plus en plus grand et le visage s’éclaire au fur et à mesure que l’on se rapproche.
Le voilà à nouveau ensorcelé par cette soif d’or, ce rêve de richesse.
Larry abandonne donc Berna quelques temps, en espérant faire fortune, cette fois-ci. Les loups sortent donc de leurs tanières.
D’abord le Loup-Locasto, qui va s’en prendre à Berna, pauvre victime sans le sou, et sans défense. A nouveau un travelling avant, quasiment sorti d’un film d’horreur de Tod Browning, qui va fondre sur la jeune femme tel un monstre assoiffé de sang.
Ensuite, les loups de la montagne, qui vont dévorer ce gredin de Samuel. En effet, après avoir profité de Lars, Samuel s’en prend à Larry en lui volant son bien le plus précieux pour survivre dans la tempête glaciale : une boîte d’allumettes.
Un moment d’inattention, les allumettes ne sont en fait pas dans la boîte, et voilà les loups qui fondent sur leur proie sans défense. La moindre erreur ne pardonne pas. Dans son encyclopédie du western, Patrick Brion a raison d’évoquer ce moment dans lequel « juste avant de mourir, Samuel Foote imagine en un tragique flash-forward ce qu’aurait pu être son retour, riche et heureux, en famille, s’il avait réussi. »6
Succession de surimpressions et de travellings avant pour traduire ces projections mentales de Samuel, juste avant que les loups ne le dévorent.
Enfin, Larry revient au Klondike. Et retrouve Berna. Cette fois-ci, pas de travelling avant sur son visage, c’est le personnage qui s’approche de la caméra au fur et à mesure que son regard perçant s’éclaire à la vue de sa bien-aimée. Frissons garantis.
Mais les choses ne sont plus comme avant. La pureté s’est évaporée. La soif de l’or a tout détruit entre eux.
L’affrontement final entre Larry et Locasto sera encore d’une violence inouïe, des visages en sang, une torche humaine, qui aura des répercussions sur la ville entière.
Conclusion :
A la fois épique et humain, cruel et drôle, La piste de 98 est un chef-d’œuvre du film d’aventure à redécouvrir d’urgence, tout comme son réalisateur aujourd’hui trop souvent mis de côté.
1 50 ans de cinéma américain – Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon – p.23
2 Encyclopédie du western – Patrick Brion – p.36
3 50 ans de cinéma américain – Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon – p.335
4 A Portrait of Joan – Joan Crawford
5 Encyclopédie du western – Patrick Brion – p.36
6 Encyclopédie du western – Patrick Brion – p.36