Le commando frappe à l’aube (Commando Strikes at Dawn) – John Farrow – 1942

Le commando frappe à l’aube (Commando Strikes at Dawn) – John Farrow – 1942

mai 13, 2021 1 Par Nicolas Ravain

Résumé :

Norvège, 1939.

Erik, veuf, vit seul avec sa fille dans une petite ville tranquille de Norvège. La guerre éclate, et un jour, les nazis débarquent…

 

Analyse :

John Farrow, cinéaste d’origine australienne (et père de l’actrice Mia Farrow), ne figure pas au panthéon des grands réalisateurs de l’Âge d’Or du cinéma hollywoodien, mais sa filmographie n’a pourtant rien d’honteuse. Il passe derrière la caméra à la fin des années 30, mettant en scène des films de séries B pour la RKO (Le Saint contre-attaque, Quels seront les cinq ?), puis accède à de plus gros studios, donc de plus gros budgets, en tournant principalement pour la Paramount.
Son film le plus célèbre reste sans doute celui qui met en scène John Wayne dans le seul film tourné en 3D de la carrière du Duke : Hondo, l’homme du désert (1955). Encore loin d’avoir découvert toute la filmographie du cinéaste, une mention spéciale pour Le défilé de la mort (China), avec en tête d’affiche son acteur fétiche Alan Ladd dans le rôle d’un personnage qui inspirera Steven Spielberg et Georges Lucas quarante ans plus tard pour créer leur mythique Indiana Jones.

affiche de China de John Farrow et Alan Ladd en Indiana Jones

Alan Ladd dans China, inspiration pour le futur Indiana Jones

Blessé pendant son service dans la royale Navy durant la Seconde Guerre mondiale, Farrow met en scène plusieurs films de guerre dans sa carrière, dont celui qui nous intéresse ici, tourné cette fois pour la Columbia. Le script est signé par Irwin Shaw, écrivain à qui l’on doit deux romans adaptés au cinéma : Le bal des Maudits par Edward Dmytryk en 1958 et le superbe Quinze jours ailleurs par Vincente Minnelli
en 1962, mais également auteur de scénarios pour Litvak (Un acte d’amour), Parrish (L’enfer des tropiques) ou encore Fleischer (le méconnu mais pourtant très réussi Le grand risque).

Côté casting, Farrow offre le premier rôle masculin à Paul Muni, premier Scarface du nom dans le film éponyme d’Howard Hawks et inoubliable prisonnier en quête d’évasion dans le chef-d’œuvre de Mervyn Leroy Je suis un évadé. Le premier rôle féminin est interprété par Anna Lee, dont le nom n’est pas très célèbre mais qui possède pourtant une belle filmographie : elle a joué six fois devant la caméra de John Ford (Qu’elle était verte ma vallée, Le massacre de Fort Apache, L’homme qui tua Liberty Valence, Inspecteur de service, Les deux cavaliers, Frontière chinoise), deux fois pour Robert Wise (La mélodie du bonheur et Star !), ou encore pour Fritz Lang (Les bourreaux meurent aussi), Douglas Sirk (L’aveu) et Robert Aldrich (Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?).

Dans un plus petit rôle, on retrouve la mythique Lillian Gish, muse de David W. Griffith, qui revient à l’écran après une absence de dix ans pendant laquelle elle n’est apparue que sur les planches de théâtre.

Pour interpréter le rôle de Solveig, la fille d’Eric, on retrouve la jeune Ann Carter, dont la carrière d’enfant-actrice s’est étalée sur une dizaine d’années et que l’on a pu voir dans l’honorable Malédiction des hommes-chats, premier film de Robert Wise et suite du chef-d’œuvre de Jacques Tourneur La féline, mais également dans l’excellent premier long-métrage de Richard Fleischer Child of Divorce et l’un des meilleurs films d’Edgar G. Ulmer L’impitoyable.

Enfin, notons également la première apparition à l’écran de George Macready, qui jouera quelques années plus tard un psychopathe dans l’excellent Calvaire de Julia Ross de Jospeh H. Lewis.

une partie du casting du Commando frappe a l'aube de Farrow-Paul Muni-Anna Lee-Lilian Gish

Paul Muni – Anna Lee – Lilian Gish

Pour donner vie à cette histoire se déroulant en Norvège, la production s’installe au Canada, dans la province de Colombie-Britannique, alors que la guerre fait rage un peu partout dans le monde : « Par peur d’une attaque de la part des Japonais, il y avait plusieurs petits bateaux dans le port, juste en face de l’hôtel Empress, au cas où il aurait fallu nous évacuer. »1, rapporte la jeune Ann Carter. On peut donc supposer une certaine tension sur le plateau, loin des studios bien protégés d’Hollywood.

Pour mettre en boîte tout ça, Farrow travaille de nouveau avec le directeur de la photo William C. Mellor, qu’il retrouve après un autre film de guerre La sentinelle du pacifique et avec lequel il tournera également Les échappés du néant quinze ans plus tard. Et le film de s’ouvrir par un premier plan-séquence à 360° puis en travelling latéral qui, en l’espace d’une minute trente, plante très bien le décor : le fjord, les pêcheurs, les maisons, les enfants, les charrettes, l’école, la mairie, l’église et, bien entendu, Eric et sa fille Solveig.

 

Et cette première séquence de s’enchaîner avec un autre plan-séquence, long de plus de six minutes cette fois, qui nous présente les différents protagonistes et leurs relations lors d’une cérémonie de mariage. Le plan se déplace latéralement, passant de la salle de repas à la piste de danse, jusqu’aux cuisines, jonglant d’un couple de danseurs à un autre avec une maestria aussi discrète que parfaitement maîtrisée. L’utilisation du plan-séquence permet ici de créer du lien entre les personnages, de suggérer l’idée de communion et de proximité, qui vont être mise à mal dès l’arrivée des nazis. En cela, on peut penser au film de Michael Cimino Voyage au bout de l’enfer, avec sa très longue séquence inaugurale de mariage qui rend la deuxième partie du film d’autant plus insupportable et violente, par effet de contraste.

Comme le remarque Bertrand Tavernier, Farrow avait déjà eu recours au plan-séquence auparavant : « Dans les films B, on peut aussi trouver une série de recherches qui anticipent sur des oeuvres plus célèbres : ainsi les très longs plans en mouvements de Full Confession de Farrow sont antérieurs à ceux d’Hitchcock et de Welles. »2. Et le cinéaste utilisera à nouveau cette figure de style dès son film suivant, Le défilé de la mort, avec un plan d’ouverture tout bonnement admirable qui nous plonge d’emblée dans le chaos de la guerre.





 

Se croyant protégés par la neutralité de leur pays, les habitants de cette paisible bourgade vont vite déchanter lorsque la guerre est finalement déclarée et les nazis sur le point de les envahir.

Au départ, Eric ne se mouille pas. A un ami qui lui dit : « Les allemands arrivent, il faut réagir ! Erik, mon ami, vous qui êtes un homme sensé et cultivé, dites-le-lui ! », il se dérobe, disant que « ce sont les ordres » et qu’un « officier sait mieux que nous comment mener une guerre. ». Pour l’instant, la guerre et la barbarie nazie ne sont pas vraiment réelles pour lui et la plupart des villageois.

Mais très vite, les nazis débarquent. C’est la douche froide. La prise de conscience que le cours de leur vie ne va plus s’écouler tranquillement et librement. A ce titre, le discours de l’officier nazi est glaçant : après avoir déclaré qu’ils étaient leurs amis, qu’ils étaient là pour les protéger des Anglais et que les habitants ne devaient rien changer à leur mode de vie, il ajoute : « Bien sûr, il y a un couvre-feu à 18h30 et ceux qui ne le respecteront pas seront mis à mort. Aucun bateau ne doit quitter le port sous peine de mort. Tout acte d’insubordination à l’encontre de l’armée allemande sera puni de mort. »

commando frappe a l'aube arrivée des nazis

Rien ne va changer, et pourtant tout a déjà changé.

Heureusement, les habitants auront droit à un concert tous les dimanches de la part de l’orchestre du régiment.

Ouf !

Un peu plus tard, alors que les habitants commencent à vouloir se défendre et à entrer en résistance, Farrow utilise une nouvelle fois le plan-séquence de façon brillante lors de l’exécution publique d’un homme pris en flagrant délit d’utilisation d’une radio. Le plan démarre sur le prêtre, qui récite une prière, puis la caméra se déplace jusqu’au condamné qui vient se mettre dignement et sans peur sur son emplacement. La caméra glisse ensuite en arrière sur les soldats qui chargent leurs armes, retrouve le prêtre qui rejoint la femme du condamné, et les coups de feu sont tirés en hors-champ alors que l’on suit la femme qui hurle et s’enfuit.

commando frappe a l'aube-farrow-execution

Tout ça fait froid dans le dos. Surtout lorsque le plan suivant s’enchaîne par un fondu sur une carcasse de dinde dont se repaisse un officier.

Le film de Farrow regorge de brillants moments de mise en scène comme celui-ci, et l’on peut également citer une séquence de suspense et de tension très réussie lors de laquelle Eric, qui veut rejoindre l’Angleterre en bateau pour mieux revenir attaquer les nazis, se cache dans un puits avec sa fille tandis que des soldats fouillent l’endroit et sont soudain pris d’une envie de boire un peu d’eau fraiche du puits…

Ou encore la séquence de la fuite en bateau : le spectateur sait qu’un des personnages est un traitre, Eric sait lui aussi qu’il est un traitre, quand et comment ce dernier va-t-il tenter de faire échouer l’opération ? Le dénouement de la séquence fait elle aussi froid dans le dos.

On peut terminer en disant que le titre (original et français) du film est un peu trompeur : s’il y a bien une séquence de guerre de dix minutes à la fin du film et que celle-ci est très efficacement menée, le long-métrage de Farrow est avant tout un drame, une histoire d’amour et de famille, de rébellion et de résistance d’un village face à un envahisseur cruel.

En cela, on pourrait le rapprocher de Hitler’s Madman, excellent premier film américain de Douglas Sirk tourné l’année suivante, qui raconte l’histoire vraie du petit village tchèque de Lidice réduit à néant par les nazis suite à un attentat contre Reinhard Heydrich (avec une prestation aussi géniale que glaçante de John Carradine !).

affiche Hitler's madman Douglas Sirk avec John Carradine

Conclusion :

Cet excellent film de John Farrow, maître du plan-séquence, donne envie de se plonger plus avant dans la filmographie de ce cinéaste en manque de reconnaissance et dont les travaux sont malheureusement peu édités sur support numérique dans notre pays.

 

La bande-annonce d’époque du film :






1 Amy and her friends : The Ann Carter Interview in Video Watchdog #137

2 Amis Américains – p.417