Child of Divorce – Richard Fleischer – 1946

Child of Divorce – Richard Fleischer – 1946

février 8, 2021 1 Par Nicolas Ravain

Résumé : 

Une famille américaine exemplaire : maman, papa et leur petite fille de huit ans Bobby. Tout semble aller dans le meilleur des mondes, mais très vite, la fillette découvre que sa mère a un amant et ses parents entament une procédure de divorce…

Analyse :

C’est une expérience toujours intéressante de découvrir le premier long-métrage d’un réalisateur, d’assister à la naissance d’un artiste. On peut vite tomber dans le sempiternel cliché selon lequel tout est déjà là, d’une façon plus ou moins embryonnaire, inconsciente. Ou alors tomber sur quelque chose de pas très glorieux, un raté, une simple commande sans âme.
J’ai une passion pour le réalisateur américain Richard Fleischer. Sa filmographie, qui couvre plus de quatre décennies, regorge de bijoux, de diamants, mais aussi de simples quartzs sans grande valeur (surtout concernant sa toute fin de carrière).
Le « problème », qui n’en est pas vraiment un d’ailleurs, est que le style de Fleischer est difficilement identifiable, le réalisateur s’étant illustré dans de nombreux genres différents et surtout, avec un style et une approche différente quasiment à chaque film. C’est surement pour cela que le réalisateur américain n’a été longtemps considéré par la critique que comme un «bon artisan » et un « solide technicien ». Les choses sont en train de changer depuis quelques années, et Richard Fleischer d’accéder enfin au statut de cinéaste majeur comme il le mérite.
Bon.
Et son premier film alors ?
A défaut de dire que son premier long-métrage contient déjà presque tout son cinéma à venir, ou qu’il s’agit là d’un film raté et sans intérêt, ce Child of Divorce est à mon sens une brillante entrée en matière pour Fleischer sur un sujet cruel et traité sans pathos ni mélodrame. Car le film est une sorte d’anti Kramer contre Kramer (Robert Benton-1979) : au lieu d’assister à une bataille acharnée des parents pour obtenir la garde de leur enfant, on les voit tenter mutuellement de s’en débarrasser, soi-disant pour son propre bien. Déjà que le sujet du film, à savoir le divorce, est très moderne dans le cinéma de l’époque, le script brillant de Lillie Hayward évite les pièges tendus par un tel sujet, se met à la hauteur de l’enfant et construit des personnages qui ne sont jamais caricaturaux.

Le premier plan résume très bien le propos et l’approche du film : on y voit le salon d’une maison bien comme il faut, fauteuil, canapé, cheminée, rien ne dépasse, tout est bien propre ; puis une main entre dans le champ, et la caméra effectue un travelling arrière qui nous révèle qu’il s’agit en réalité d’une maison de poupée, d’une illusion. Fleischer nous dit d’emblée qu’il va s’employer à casser le mythe du home sweet home, et la jeune Bobby passera effectivement le reste de l’histoire à être trimballée de maisons en maisons, réelles ou miniatures, sans réussir à jamais trouver sa place.
Les premières lignes de dialogues entre le père et sa fille vont également dans ce sens et sont, lorsque l’on connaît la suite de l’histoire, particulièrement ironiques :
« Il faut un bon fauteuil pour que le vieil homme se repose de sa journée de travail.
– Mais je n’ai pas de « vieil homme ».
– Tu es sûre ? Mon dieu, je croyais que c’était moi, ton « vieil homme ».
– Toi, tu es juste mon papa.
– C’est tout ?
– Tu es le meilleur papa du monde !
– Je préfère ça ! »
Au départ, tout semble donc bien aller dans le meilleur des mondes et l’american way of life est sauf. Papa aime maman, et inversement. Bobby aime papa, et inversement. Bobby aime maman, et inversement. Mais très vite, lorsque le père doit s’absenter pour plusieurs semaines à cause de son travail, une petite ligne de dialogue en apparence anodin et se voulant rassurante et réconfortante pour l’enfant apporte une première micro-fissure dans ce tableau idyllique :
Bobby : Oh mon dieu, quatre longues semaines…
La mère : Cesse de tout voir en noir. Quatre semaines, ça peut passer très vite. »
Car la mère dit effectivement ça pour rassurer sa fille, mais aussi et surtout au premier degré, à savoir que le temps qu’elle va pouvoir passer dans les bras de son amant sera bien trop court. A propos de cet amant, le scénario refuse encore une fois le manichéisme et ne fait pas de la mère adultère l’unique fautive. Elle se sent délaissée, enfermée dans son rôle de mère au foyer, et son mari, au-delà de la blessure, comprendra également cette situation dont il est en partie responsable.

La jeune Bobby, qui a été spectatrice de cette infidélité, refuse tout d’abord d’y croire vraiment et tente de faire perdurer l’illusion de bonheur. Ainsi, lorsque son père revient de son déplacement professionnel, elle essaye d’endosser le rôle que sa mère ne veut plus assumer, d’être une parfaite (petite) femme aimante et dévouée. Son père lui a ramené un cadeau pour sa maison de poupée : un minuscule piano. Bobby joue alors le jeu, se cache les yeux comme le lui demande son père, espérant sauver les meubles de sa maison (de poupées) qui commence à s’effondrer. Lorsque les parents se retrouvent enfin dans la chambre, le mari n’étant pas encore au courant de l’infidélité de sa femme, Fleischer prend soin de signifier que leur couple a pourtant déjà volé en éclat en isolant les personnages dans des plans séparés, ou alors en les plaçant à une extrémité chacun du cadre qui les réunit. C’est alors que la fillette apparaît à l’arrière plan, se postant entre les deux, n’ayant déjà plus sa place au sein de cette famille sur le point d’éclater.

La pauvre Bobby ne sera ensuite épargnée ni par la cruauté de ses amis, qui en viendront à se moquer d’elle et à lui jeter des pierres, ni par la violence de ses parents qui en viendront à se gifler et s’insulter mutuellement, jusqu’à devoir faire office de témoin au tribunal où elle sera invectivée rudement par un des avocats. Lorsqu’elle entre dans ce même tribunal, Fleischer la filme dans un plan large en plongée, pour l’isoler toujours plus, l’écraser, puis passe à l’inverse en contre-plongée lorsque la jeune fille s’arrête enfin devant le juge qui la surplombe, la condamne, faisant d’elle la vraie victime de cette situation.

Une fois la séparation actée socialement et géographiquement, la jeune Bobby va donc être confiée à sa mère dans un premier temps, puis à son père pour les mois d’été. L’enfant ne réussira malheureusement pas à s’entendre ni avec son beau-père d’un côté, ni avec sa belle-mère de l’autre. Fleischer va ainsi multiplier les plans dans lesquels l’enfant est rejetée dans un coin du cadre, signifiant par là que l’union, ou plutôt la réunification familiale est impossible, que quelque chose s’est brisé à tout jamais entre l’enfant et ses quatre parents.

Le plan du réveillon de Noël est à ce propos un véritable crève-coeur : la caméra reste à l’extérieur de la maison, filmant à travers la fenêtre, et séparant littéralement la jeune fille de sa mère et de son beau-père par le cadre en bois de la vitre.

Il n’y a plus de home sweet home. Plus de maison de poupées. Seulement la solitude et le rejet.
Quel sera donc le sort final réservé à la pauvre Bobby ?

Conclusion :

Richard Fleischer accouche d’un excellent premier film, dont le thème est intelligemment traité, sans manichéisme ni pathos, mis en scène avec pertinence et précision et interprété avec justesse notamment par la jeune Sharyn Moffett, qu’il retrouvera dans son film suivant Mon chien et moi (Banjo), scénarisé par la même Lillie Hayward.
Terminons une fois encore par les mots du cinéaste lui-même, qui résument parfaitement son long-métrage : « Child of Divorce est un de mes films préférés. […] Le scénario était excellent et je tournais une fin qui refusait le happy end systématique de l’époque. […] J’essayais d’éviter les clichés traditionnels des mélos. […] Comme Child of Divorce était mon premier film, je souffrais comme un damné et le tournage fut un véritable enfer pour moi. J’étais très nerveux, bien que je sentais que je parvenais à obtenir d’excellentes performances de mes acteurs, chose inhabituelle pour ces films à petit budget. »1

 

CHILD OF DIVORCE

Réalisation : Richard Fleischer

Scénario : Lillie Hayward, d’après la pièce Wednesday’s Child de Leopold L. Atlas

Photographie : Jack MacKenzie – Noir et blanc

Musique : Leigh Harline

Production : RKO Pictures

Durée : 62 minutes

Pays : USA

Distribution :

Sharyn Moffett : Roberta « Bobby » Carter

Regis Toomey : Ray Carter (le père)

Madge Meredith : Joan Carter Benton (la mère)

 

Le film est paru chez Editions Montparnasse dans un coffret regroupant Child Of Divorce, L’énigme du Chicago Express et Armored Car Robbery. Epuisé mais encore disponible ici ou ici.

 


1 – Richard Fleischer – de Stéphane Bourgoin – 1986