Le calvaire de Julia Ross (My Name is Julia Ross) – Joseph H. Lewis – 1945
Résumé :
Une agence recherche une jeune femme, sans famille et sans attache sentimentale, pour un poste de secrétaire. Julia Ross, qui correspond à ces critères, se présente. Elle fait la connaissance de Mrs Hughes et de son fils. Bien vite, l’affaire est réglée et la directrice de l’agence offre le thé à tout le monde. Mais la tasse de la jeune femme contient un puissant narcotique. Lorsqu’elle reprend ses esprits, Julia Ross se trouve dans une des chambres de la demeure des Hughes, une alliance au doigt. À partir de cet instant, sa vie va basculer dans un hallucinant cauchemar…
Analyse :
Joseph H. Lewis, cinéaste ayant œuvré dans la série B, est resté célèbre dans l’histoire du cinéma pour deux films noirs devenus des classiques : Le démon des armes (Gun Crazy) et Association Criminelle (The Big Combo). Après avoir travaillé de nombreuses années en tant que monteur, puis mis en boîte une bonne vingtaine de films aux budgets dérisoires, Lewis réalise avec Le Calvaire de Julia Ross ce qu’il considère lui-même comme son premier film vraiment important.
Et cela se vérifie dès le premier plan du film, très beau, qui dégage quelque chose d’étrange, avec cette silhouette féminine qui marche sans se presser sous une pluie battante d’une rue de Londres. L’objectif de la caméra lui-même semble noyé par cette averse, et la jeune femme déjà condamnée à un funeste destin.
S’ensuit un long plan-séquence qui suit Julia rentrer chez elle, avec une caméra très mobile qui passe d’un personnage à un autre, d’une plongée à une contre-plongée, et qui pose en quelques minutes les contours de son personnage : une jeune femme célibataire, modeste, qui cherche à s’en sortir en trouvant un emploi décent.
Ça promet !
Le film ayant une durée très courte, à peine plus d’une heure, l’intrigue se met rapidement en place et la pauvre Julia Ross se présente à cet entretien d’embauche qui sera le début de son calvaire au bout de cinq minutes à peine. Lors de cette première rencontre avec ses futurs geôliers, pour l’instant très (trop ?) amicaux et chaleureux, la mise en scène de Lewis fait déjà de son personnage une prisonnière en la repoussant dans un coin du cadre, en l’entourant de toutes parts, l’écrasant avec des amorces, l’étouffant.
A l’inverse, lorsque l’on fait connaissance avec le crush de Julia, son voisin de palier nommé Dennis, les deux personnages se tiennent chacun d’un côté de l’encadrement d’une porte grande ouverte : entre eux, tout est encore possible, rien n’est fermé, ils sont sur un pied d’égalité, complices. Les uns condamnent Julia à l’enfermement, l’autre lui promet la liberté.
Mais cette brève respiration vers un avenir radieux sera de courte durée. Julia doit quitter son appartement pour aller habiter chez ses employeurs, selon l’arrangement convenu (ou plutôt qui lui a été imposé) et un plan fixe en plongée de son arrivée à Henrique Square fait peser sur une elle une menace évidente. Chapeau sur la tête, valise à la main, elle est comme le Petit Chaperon arrivant enfin chez Mère-Grand, ne se doutant pas que le Grand Méchant Loup l’attend de pied ferme.
Ensuite, tout va très vite pour la pauvre Julia, qui se réveille dans une immense demeure en bord de mer des Cornouailles, séquestrée dans une chambre, affublée de vêtements qui ne sont pas les siens, d’un prénom (Marion) qui n’est pas le sien et d’un mari dont le passe-temps est de déchiqueter en lambeaux des tissus à coups de couteaux.
Bonjour l’ambiance.
Julia va tenter par tous les moyens de s’enfuir, de ne pas sombrer dans la folie, appelant à l’aide les rares visiteurs mais ne réussissant qu’à leur donner l’image d’une folle suicidaire. Le spectateur pourra même en venir à s’interroger brièvement sur la santé mentale du personnage, même si le film ne prend jamais cette direction de thriller psychologique paranoïaque, comme son titre original l’indique clairement : My name is Julia Ross. Et non Marion Hughes.
Une séquence du film est particulièrement intéressante, où la jeune femme se retrouve face à face avec son faux mari et lui pose des questions sur leur prétendu passé commun. A ce propos, voici ce qu’en dit Lewis lui-même : « Un jour, pendant le tournage d’une scène, je me suis dit : ‘Joe, je n’aime pas ce plan. Il y a trop de dialogue dedans, que pourrais-tu faire ?’ Et j’ai trouvé un truc. J’ai placé la caméra par-dessus l’épaule de George Macready, vers Nina Foch, et la seule chose qu’on voyait d’elle c’étaient ses yeux, parce que son épaule à lui cachait le reste. Et j’ai filmé toute la scène en un seul plan. Je n’ai fait aucun plan de secours. »1
Au-delà de la volonté du réalisateur de casser les codes du champ/contre-champ et également de gagner du temps sur un plan de tournage très court et un budget limité (« 175.000$, auquel il faut ajouter un dépassement de 50.000 $ »2), ce plan synthétise justement très bien la volonté des geôliers d’imposer par tous les moyens une autre identité à la jeune femme. Ainsi, le faux mari parle littéralement à la place de Julia, tente de lui imposer un passé, une identité, qui n’est pas la sienne.
Alors, la jeune femme parviendra-t-elle à échapper à ses ravisseurs et rétablir la vérité ?
Conclusion :
Si le film de Lewis n’est pas un chef-d’œuvre et n’honore pas forcément toutes les promesses de ses brillantes cinq premières minutes, il n’en reste pas moins un excellent thriller très bien rythmé, sans temps morts, à l’interprétation solide et la mise en scène souvent ingénieuse. Terminons par les mots du cinéaste lui-même concernant une projection-test : « A partir de ce moment-là (le générique-ndlr) et jusqu’au dernier plan du film, (les spectateurs) ont été tenus en haleine. Et à la fin, j’ai eu droit à des applaudissements spontanés et des acclamations comme jamais, avec des jeunes gens en larmes. Ce fut la soirée la plus belle de ma vie. »3
La bande-annonce originale :
LE CALVAIRE DE JULIA ROSS (My Name is Julia Ross)
Réalisation : Joseph H. Lewis
Scénario : Muriel Roy Bolton, d’après le roman d’Anthony Gilbert
Photographie : Burnett Guffey – Noir et blanc
Musique : Mischa Bakaleinikoff
Production : Columbia Pictures
Durée : 65 minutes
Pays : USA
Distribution :
Nina Foch : Julia Ross
Dame May Whitty : Mme Hughes
George Macready : Ralph Hughes
Le film est paru en Blu-Ray chez Arrow Films (zone B) dans une excellente copie, disponible ici.
1 Les maîtres d’Hollywood – Entretiens avec Peter Bogdanovich – Tome 2 – p.216
2 Idem – p.219
3 Idem – p.217
[…] Séquence qui n’est pas sans nous rappeler un dialogue filmé de la même façon dans un autre brillant long-métrage de Lewis que nous avons déjà chroniqué sur le site : Le calvaire de Julia Ross. […]
[…] de George Macready, qui jouera quelques années plus tard un psychopathe dans l’excellent Calvaire de Julia Ross de Jospeh H. […]
[…] Foch tourne dans plusieurs productions de série B, notamment dans l’excellent Calvaire de Julia Ross de Joseph H. Lewis en 1945, cinéaste qu’elle retrouve en 49 dans Le maitre du gang. On la […]