Un cri dans le métro (Underground) – Anthony Asquith – 1928 – UK

Un cri dans le métro (Underground) – Anthony Asquith – 1928 – UK

septembre 29, 2022 0 Par Nicolas Ravain

Résumé :

Deux hommes, Bill et Bert, sont attirés par la même femme, Nell, vendeuse dans le métro londonien. Celle-ci accepte les avances de Bill, mais Bert n’est pas homme à accepter le rejet aussi facilement et est prêt à tout pour arriver à ses fins.

Analyse :

Après son étonnant premier film Shooting Stars, écrit et réalisé à quatre mains, Anthony Asquith s’attaque aussitôt à son deuxième long-métrage, seul à la barre cette fois-ci. Toujours produit par le British Film Institute, ce nouveau projet reprend le principe du triangle amoureux, en y ajoutant un quatrième protagoniste, et déplace son action dans le métro londonien. Intitulé Underground, le scénario dépeint à nouveau des histoires d’amours contrariés menant à la jalousie, la violence et la mort, cette fois-ci dans un milieu plus accessible, plus simple, populaire, comme l’explique le carton d’introduction : « The ‘Underground’ of the Great Metropolis of the British Empire, with its teeming multitudes of ‘all sorts and conditions of men’, contributes its share of light and shade, romance and tragedy and all those things that go to make up what wa call ‘life’. So in the ‘Underground’ is set our story of ordinary work-a-day people whose names are just Nell, Bill, Kate and Bert. » Des personnages qui n’ont donc pas de noms de famille, des gens « normaux », des anonymes, vous et moi. Tout l’inverse des protagonistes de Shooting Stars qui, en plus d’avoir des noms, étaient des noms, des gens à part, spéciaux.

Après avoir été l’acteur Julian Gordon dans le film précédent d’Asquith, Brian Aherne rempile avec le cinéaste dans le rôle de Bill, simple employé du métro, qui tombe sous le charme de Nell, interprétée par Elissa Landi, dont c’est le 3ème film. L’actrice quittera ensuite le Royaume-Uni pour rejoindre les USA où elle deviendra une tête d’affiche de la Fox dans Wicked d’Allan Dwan, The Yellow Ticket de Raoul Walsh ou encore A Passport to Hell de Frank Lloyd, avant de mourir prématurément à 43 ans d’un cancer en 1948.

Elissa La,di dans Underground et affiche de Yellow Ticket

#NellToo

Touchante et sans chichis, elle est parfaite dans le rôle de Nell, simple vendeuse dans le métro. Sa relation avec les hommes, et en particulier avec Bert, met déjà en avant près de 100 ans avant le mouvement #MeToo/#BalanceTonPorc le harcèlement dont peuvent être victimes les femmes.

La 1ère séquence du film est à ce propos criante de vérité, où l’on voit donc Bert (Cyril McLaglen, frère de Victor) faire du gringue à Nell dans un wagon du métro, d’abord gentiment, puis de façon de plus en plus appuyée, insistante, imposée et imposante. Il la fixe du regard avec insistance, lui fait du pied, puis semble la menacer du doigt après qu’il se soit fait envoyé balader.

harcèlement dans le métro dans le film Underground

Bert est le prototype du sale type, un « homme à femme », pour ne pas dire un prédateur sexuel. A aucun moment il ne tombe amoureux de Nell, il veut seulement la posséder et est prêt à agir avec la force et la manipulation pour arriver à ses fins. La réalisation d’Asquith suggère bien cette position écrasante du personnage, notamment par le biais de nombreux gros plans sur son visage, mais également de façon plus subtile comme lors de la séquence entre lui et Nell à la boutique de celle-ci : le réalisateur y casse la règle des 180° du champ/contre-champ, les personnages n’étant alors pas traité de la même façon, Bert étant soit en amorce de Nell, donc « sur » elle, soit cadré de façon à laisser de « l’air » derrière lui, et non devant (là où se trouve Nell en hors champ) comme la convention l’impose. On retrouve également cette idée lors de leur « promenade » dans une rue pendant laquelle Bert va mettre la pression à Nell et tenter de l’embrasser de force, avec Bert qui prend toute la place centrale du cadre et relègue la jeune femme dans un coin où elle se retrouve coupée, écrasée, dominée.

Elissa Landi et Cyril McLaglen dans Underground

Cette idée d’écrasement du cadre et des personnages féminins par Bert se retrouve aussi au niveau de la gestion de la profondeur de champ, notamment dans ce plan subjectif en plongée qui met la foule au 1er plan floue pour faire la mise au point au dernier plan de l’image, sur Nell et Bill. Même loin physiquement de lui, Nell reste dans le viseur de Bert, telle la proie d’un chasseur, elle ne peut lui échapper.

Profondeur de champ dans Underground

C’est également le cas de Kate, la petite amie de Bert, complètement soumise et écrasée, comme le traduit bien ce plan en apparence très simple mais pourtant très travaillé qui joue sur la mise au point changeante tandis que le personnage se relève :

Le statut de prisonnière de Kate est également renforcé par le décor dans lequel elle évolue, du moins dans la première partie du film, avec les barreaux de l’escalier dont les ombres se projettent sur elle et jusqu’au plafond, et dans ce plan où Asquith choisit de placer au 1er plan du cadre les barreaux de son lit qui viennent couper son visage.

escaliers dans Underground d'Anthony Asquith

Interprété par Norah Bering, une actrice à la courte carrière qui tourne une douzaine de films entre 1928 et 1934 (dont deux autres avec Asquith), le personnage de Kate va peu à peu se libérer de l’emprise de son geôlier amant et de son statut de prisonnière, comme le montre cet impressionnant plan-séquence en travelling latéral rapide qui la suit en train de courir comme une dératée tout en se délestant de son manteau.

A l’inverse de tout ce dispositif d’enfermement et de soumission, la relation entre Bill et Nell est abordée sous l’angle du mouvement, de la liberté et de l’ouverture. A ce titre, leur rencontre est basée sur une belle idée : chacun sur un escalator, l’un descendant, l’autre montant, ils sont obligés de marcher en continu l’un vers l’autre pour ne pas être emportés et séparés. Plus tard, une discussion très rapprochée entre eux est l’occasion pour le cinéaste de jouer sur les ombres, de projeter leur avenir, autrement dit d’aller de l’avant.

Citons aussi ce beau plan, simple, qui prend le temps de filmer les deux personnages assis sur le toit ouvert d’un bus londonien, discutant, souriant, partageant une boîte de friandises à l’air libre tandis qu’ils avancent ensemble dans la même direction.

LONDON CALLING

Tout comme Shooting Stars qui décrivait le monde du cinéma d’une façon assez crue et sans glamour, le Londres d’Underground n’a rien d’une carte postale. En témoigne ce travelling qui accompagne Nell et Bert sur les rives de la Tamise avec la présence d’un artiste/mendiant au premier plan et des usines qui se découpent sur le ciel gris au second plan. Pas étonnant que lors de leur trajet sur le toit du bus, la caméra reste sur Bill et Nell sans nous offrir de contre-champ sur la ville qui les entoure, car Asquith n’est pas là pour jouer les guides touristiques.

Londres dans Underground d'Anthony Asquith

Si, au départ, le métro et sa population sont traités de façon légère, parfois même comique, comme dans la longue 1ère séquence qui nous présente une galerie d’individus et de petites situations cocasses, ce microcosme devient de plus en plus oppressant au fil du film, jusqu’à devenir carrément cauchemardesque lors du climax. Après une course-poursuite aérienne sur les toits et sa cascade avec une grue digne d’un James Bond, Bert sombre dans la folie destructrice et meurtrière et la réalisation d’Asquith lorgne alors du côté de l’expressionisme : on pense au terrible Dr Mabuse de Fritz Lang lors de la séquence avec la tête de Bert en surimpression, et ces plans presque inquiétants des cheminées d’usines, et la lumières qui devient plus contrastée, plus tranchante.

expressionisme dans Underground d'Anthony Asquith

Dr Mabuse dans Underground d'Anthony Asquith

Réminiscence du Dr Mabuse (au centre)

S’il l’avait déjà prouvé lors de la séquence du fusil dans Shooting Stars, Asquith est tout à fait brillant lors du climax en matière de suspense, mais également pour ce qui est de l’action, menée tambour battant dans les dix dernières minutes par une mise en scène tout en mouvement et un montage des plus efficace.

S’ouvrant sur un plan presque abstrait de lumières non identifiables et un travelling avant passant de l’obscurité à la lumière, du rien à la vie, le dernier plan fonctionne comme un miroir en proposant le cheminement inverse, le travelling arrière nous faisant quitter la vie et la lumière pour rejoindre l’obscurité et l’abstraction.

Telle une ligne de métro, la vie n’est qu’un cycle ponctué de stations, de rencontres, de moments, jusqu’au terminus final.

Tout le monde descend.

 

Conclusion

Si Shooting Stars, le premier long-métrage d’Anthony Asquith, était aussi brillant que mordant et virtuose, son second opus y ajoute une humanité et une émotion sans pour autant tomber dans le mélodrame et le pathos.

Et de penser, encore et toujours, aux mots de Jean Tulard, à propos du réalisateur britannique : « Il reste toujours distingué, froid, académique, s’effaçant toujours devant son sujet, prenant grand soin d’éviter les fautes de goûts. Bref, il sait être ennuyeux. »1

Tout ce que n’est pas Underground.


Le film a été restauré par le British Film Institute en 2021 et bénéficie d’une double édition DVD/Blu-Ray avec livret trouvable à petit prix par ici


1 Jean Tulard –Dictionnaire du cinéma – Les réalisateurs – 1895 – 1995 – Edition du centenaire du cinéma – p.39