Quand la bête hurle + Une poignée de neige – 1957

Quand la bête hurle + Une poignée de neige – 1957

mai 22, 2021 1 Par Nicolas Ravain

Résumés :

Quand la bête hurle : Evocation de la vie du boxeur Barney Ross, champion du monde dans les années 30 et soldat durant la Seconde Guerre Mondiale qui, suite à une blessure sur le champ de bataille, développe une forte addiction à la morphine.
Une poignée de neige : Johnny Pope, vétéran de la Guerre de Corée, est accro à la morphine. Lorsque son père refait surface dans sa vie, il va être confronté à une longue nuit de manque…

 

Analyse : 

’57, année morphinique

L’Histoire du cinéma regorge de films traitant de la drogue et du thème de l’addiction. Mais les films traitant précisément de l’addiction à la morphine sont très peu nombreux et, par un curieux hasard, deux de ces films sont sortis durant l’année 1957, tous deux mis en scènes par des réalisateurs d’origine austro-hongroise !

69, année érotique, chantait Gainsbourg.

57, année morphinique, écrit-on ici.

Le film de Zinnemann est adapté d’une pièce jouée à Broadway près de 400 fois et écrite par Michael V. Gazzo, entré dans la postérité pour son rôle de mafieux à la voix si particulière dans Le Parrain II de Coppola.

acteur michael Gazzo dans le parrain

Michael V Gazzo dans Le Parrain II

Gazzo adapte lui-même sa pièce et est épaulé par Alfred Hayes, scénariste à qui l’on doit les scripts de deux films de Fritz Lang (Le démon s’éveille la nuit et Désirs humains) ou encore celui de La main gauche du seigneur d’Edward Dmytryk et Duel dans la boue de Richard Fleischer. Plus de 40 ans après, en 1998, le scénariste Carl Foreman (Le champion de Robson, C’étaient des hommes et Le train sifflera trois fois du même Zinnemann), à l’époque blacklisté, est également crédité au générique.

Pour reprendre les rôles de Johnny Pope et sa femme Celia tenus originellement sur les planches par Ben Gazzara et Shelley Winters, Zinnemann embauche deux comédiens encore relativement inconnus à l’époque : Don Murray et Eva Marie Saint.

don murray eva marie saint dans Une poignée de neige

Don Murray et Eva Marie Saint

Toujours vivants et toujours actifs au moment de l’écriture de cet article (Murray joue dans l’extraordinaire troisième saison de Twin Peaks de Lynch et Eva Marie Saint dans un film polonais en 2019 !), ils forment à l’écran un couple en pleine déliquescence. En raison de l’addiction cachée de Johnny pour la drogue, ils ne parviennent plus à se parler, à se toucher, et tout simplement à s’aimer. Rupture renforcée par l’utilisation du format Cinémascope, qui éloigne et isole encore plus les personnages et leurs corps.

Pour corser le tout, le couple abrite sous son toit Polo Pope, frère de Johnny, employé en tant que videur dans un bar, brillamment interprété par Anthony Franciosa, qui reprend ici le rôle qu’il tenait déjà dans la pièce à Broadway.

C’est que Polo aime Célia. Et Célia n’aime plus vraiment Johnny. Attirée par le frère de son mari, elle ne peut se résoudre à céder à ses avances alors qu’elle porte en elle l’enfant de Johnny.

Un beau bordel, quoi.

Pour se préparer au film, Don Murray et Fred Zinnemann ont passé du temps avec la brigade des stupéfiants de la ville de New-York et ainsi pu se rendre compte de l’attitude de certains junkies, prêts à tout pour se procurer une dose, mais aussi de celle des dealers. Dans le rôle du fournisseur de dope surnommé Mother (celui qui distribue la substance qui nourri Johnny le junkie), on peut mentionner le charismatique et inquiétant Frank Silva, que l’on a pu croiser dans des rôles de salauds dans le Bravados d’Henry King, le Dick Tracy de Warren Beatty ou encore le Ghost Dog de Jarmusch.

Se basant sur une pièce de théâtre, le film de Zinnemann se déroule donc principalement dans l’appartement du couple, même si le cinéaste s’offre quelques séquences dans les rues de New-York mise en valeur par le format Cinémascope et accompagnée par une partition signée du grand Bernard Hermann.

pont de new york film poignée de neige

De son côté, le réalisateur André De Toth, alias le 4ème borgne d’Hollywood, porte donc à l’écran une partie de la vie mouvementée de Barney Ross, personnage haut en couleur s’il en est. Le script est confié à Anthony Veiller, qui a écrit trois films pour John Huston (Moulin Rouge, La nuit de l’iguane et Le dernier de la liste) et auteur de deux polars brillants que sont Le criminel de Welles et Les tueurs de Siodmak ; et à Crane Wilbur, scénariste dont la carrière commence à l’aube du cinéma et déjà auteur de deux films mis en scène par André De Toth : l’excellent Homme au masque de cire tourné en 3D et Chasse au gang.

L’acteur choisi pour incarner Barney Ross est donc Cameron Mitchell, ancien soldat comme Ross, qui a fait ses débuts à l’écran devant la caméra de John Ford dans Les Sacrifiés en 1945 et a déjà tourné avec De Toth dans le western Le cavalier de la mort en 1951 aux côté de Randolph Scott. On le retrouve aussi chez Elia Kazan dans Man on a tightrope, deux fois chez Fuller (Le démon en eaux troubles et La maison de bambou) et même chez Bava et Corbucci.

le veritable Barney Ross et l'acteur Cameron Mitchell

Le véritable Barney Ross, en 1934, et son incarnation à l’écran par Cameron Mitchell

Pour incarner Cathy Holland, celle qui sera l’amour de sa vie, on trouve Dianne Foster, une comédienne morte récemment en 2019 qui débute sa carrière dans les années 50 et tourne deux fois devant la caméra de John Ford (Inspecteur de service et La dernière fanfare), de Phil Karlson (Les frères Rico) ou Burt Lancaster (L’homme du Kentucky).

 

Dr Jekyll et Mr Add(icted)

Contrairement au film de Zinnemann qui prend comme protagoniste principal un monsieur tout-le-monde, le Barney Ross du film de De Toth est un type bigger than life, exubérant, qui aime profiter de la vie à fond. Pourtant, lorsqu’on fait sa connaissance au début du film, Ross est un homme brisé : il se rend de lui-même à l’hôpital pour y suivre une cure de désintoxication. Après les papiers d’admission remplis, le voilà donc enfermé dans une chambre, seul face à lui-même, et sa voix-off qui déclare : « La foule n’est plus là pour m’acclamer cette fois-ci. Je suis seul dans ce combat. »

Commence alors en flash-back le récit de sa descente aux enfers. Et l’on comprend très vite que Ross, avant même d’être un junkie, est un homme avec des problèmes d’addictions en tous genre : addiction à la foule lors de ses combats, addiction à la victoire et addiction aux jeux d’argent. Ross ne cesse de faire des paris, de les perdre le plus souvent, mais ça ne l’empêche pas de faire des cadeaux hors de prix à ses amis. Il vit au-dessus de ses moyens mais n’en a cure, puisqu’il est hors-normes, un champion.

Vient ensuite la rencontre avec sa future femme, Cathy, dans une séquence tout à fait savoureuse. Celle-ci est alors danseuse dans un cabaret et lors d’une chorégraphie, elle assène malencontreusement un coup de pied à Barney en plein dans la nuque et il tombe immédiatement sous le charme.

La nuque.

Ce n’est pas un hasard si cette partie du corps a été choisie ici, car elle est un élément central du film. Effectivement, les violentes crises de manque dont sera victime plus tard Barney se manifestent par une manie qu’a le personnage de se frotter la nuque avec insistance. Le titre original du film prend alors tout son sens : en anglais, l’expression « to have a monkey on your back » signifie avoir une addiction à la drogue, et Barney semble littéralement avoir un singe qui s’agrippe à son dos tout le long du film.

film quand la bête hurle

Le singe sur son dos

Dans le film de Zinnemann, le manque se manifeste chez le personnage plutôt par des maux de ventre. Johnny est souvent plié en deux, se tenant l’estomac, ce qui semble plus réaliste mais moins impactant que cette brillante idée développée dans le film de De Toth.

Ce manque, qui les métamorphosent physiquement et mentalement, tels des figures dérivées du Dr Jekyll et Mr Hyde, voire même du loup garou pour Barney Ross, va forcément avoir des répercussions sur leur vie de couple. Le manque de morphine pour les deux hommes, le manque affectif et la mise à l’écart pour leurs femmes respectives.

Cacher ce secret à tout prix, quitte à tout perdre.

 

Fourni par Uncle Sam

Les deux personnages ont en revanche comme point commun d’être devenus des junkies suite à leurs expériences sur le champ de bataille. Seconde Guerre Mondiale pour Barney Ross.

Guerre de Corée pour Johnny Pope.

Si cela n’est évoqué que par quelques lignes de dialogues dans Une poignée de neige et par le fait que Johnny se met à revivre des expériences du front lors de sa crise de manque finale, Quand la bête hurle contient en revanche une séquence guerrière d’une dizaine de minutes superbement réalisée par De Toth.

Il y a la pluie, la boue, des japonais qui tombent des arbres et surgissent de sous terre, et Barney Ross qui finit par contracter la malaria. Suite à quoi on lui fera sa première injection de morphine, pour calmer ses accès de fièvre et de délire.

En somme, l’armée américaine comme productrice d’un bon nombre de junkies du pays.

quand la bête hurle scènes de guerre

1ère piquouze sur le champ de bataille

Les deux films n’abordent donc pas la question de la drogue de la même façon à l’image.

Dans Une poignée de neige, cela est donc suggéré par le dialogue : « Dis-lui ce qu’on nous donne ! L’infirmière arrive, et ensuite le docteur, ils retroussent ta manche et… Une, deux, et une autre encore ! Tu sais de quoi je parle ? J’essaie de te dire quelque chose ! », hurle à un moment Johnny, sur le point de craquer et de révéler son secret à son père. Mais on ne le verra jamais directement s’injecter de substance, cela se fait hors-champ, derrière une porte.

A l’inverse, Quand la bête hurle contient une séquence où Barney Ross se pique face caméra, et c’est même une première dans l’Histoire du cinéma ! Voyant cela, la Motion Picture Association of America demanda bien entendu à retirer la séquence. Le producteur Edward Small fit appel de cette décision et sorti entre temps le film sans l’approbation de la commission de censure, ce qui lui valu bien sûr pas mal de problèmes.

quand la bête hurle injection de drogue

Une première en plein cadre !

Empêtrés dans leurs mensonges et leurs dettes, les personnages doivent composer avec deux facettes d’eux-mêmes : fils à papa respectable pour Johnny, héros de guerre pour Barney, ils se transforment parfois la nuit en bêtes sauvages, violentes, débraillées. Durant leurs errances nocturnes, ils n’ont plus d’amour propre, l’un fouille les poubelles, l’autre tente de braquer un pauvre malheureux.

Et tous les deux en viendront à envisager le suicide comme solution à leurs problèmes.

Appuyer sur la gâchette ?

film une poignée de neige suicide

Ou se jeter par la fenêtre ?

film quand la bête hurle suicide

Barney Ross et Johnny Pope parviendront-ils à vaincre cette addiction qui détruit petit à petit leurs vies ?

 

Conclusion :

Deux films, une même année, un même thème, une même conclusion : la morphine est une drogue dure, à l’instar de l’héroïne ou du crack, qui peut faire des ravages terribles. Si le film de Zinnemann, pourtant récompensé au festival de Venise, ne parvient pas entièrement à aller au-delà du théâtre filmé, celui de De Toth est un uppercut toujours aussi efficace de nos jours et qui a le mérite de mettre en lumière une partie de la vie incroyable de Barney Ross (au passage : ami de Jack Ruby – assassin de Lee Harvey Oswald ! ; et grand défenseur de la cause juive).