La vie future (Things to Come) – William Cameron Menzies – 1936 – Royaume-Uni

La vie future (Things to Come) – William Cameron Menzies – 1936 – Royaume-Uni

décembre 15, 2021 0 Par Nicolas Ravain

Résumé :

1940. Une guerre mondiale éclate, s’étalant sur plusieurs décennies. La civilisation s’effondre, l’humanité retourne à une société primitive, puis une épidémie de peste vient encore réduire le nombre de terriens.

Un jour, un avion atterrit près d’une communauté, et son pilote évoque une organisation occupée à rebâtir le monde…

 

Contexte :

Le film est à l’origine un roman d’H.G Wells, intitulé The Shape of Things to Come, publié en 1933. Si les adaptations cinématographiques de ses romans sont nombreuses (L’homme invisible, La machine à explorer le temps, L’île du Docteur Moreau ou encore La guerre des mondes), La vie future est la seule adaptation signée par Wells lui-même.

L’écrivain détestait le film Metropolis de Fritz Lang, qu’il qualifiait de « ramassis d’à peu près tous les clichés, sottises et platitudes possibles »1, et l’on peut penser que la mise en chantier de La vie future soit une forme de réaction au film de Lang sorti dix ans auparavant. Il est certain que sur le plan scientifique, technologique et sociétal, le film de Menzies est bien plus pertinent – et même quasi prophétique ! – que celui de Lang, mais sur le plan purement cinématographique, ce n’est malheureusement pas le cas. C’est d’ailleurs pourquoi Metropolis a eu, et a toujours, une influence considérable dans l’histoire du cinéma, tandis que La vie future est peu à peu tombée dans un relatif oubli, même s’il possède de nombreux atouts.

generique La vie future

Le deuxième nom que l’on trouve au générique du film, après celui d’H.G Wells, est celui d’Alexander Korda. D’origine hongroise, Korda réalise de nombreux films en Autriche-Hongrie dès 1914 puis, après un crochet par la France, part s’installer en Angleterre où il développe un « Hollywood-sur-Tamise »2 avec sa société de production London Films qu’il fonde en 1932. Il devient un réalisateur-producteur internationalement reconnu avec son film La vie privée d’Henry VII en 1933, qui révèle en même temps au monde entier le talent de son interprète principal : Charles Laughton.

Selon Philippe Garnier, « l’industrie cinématographique britannique est une création hongroise, puisque Korda en a été pratiquement l’artisan. »3 D’ailleurs, nous dirions plutôt les artisans, car Alexander est accompagné de ses frères : Zoltan et Vincent. Zoltan deviendra un spécialiste du film d’aventures avec Alerte aux Indes (1938), Les quatre plumes blanches (1939) ou encore Le livre de la jungle (1942) et Sahara (1943). Vincent Korda, lui, est un production designer et c’est à lui que l’on doit les merveilleux décors de La vie future, qui avaient d’abord été proposés à Le Corbusier, Fernand Léger et Laszlo Moholy-Nagy.

William Cameron Menzies

William Cameron Menzies

Le film est réalisé par l’américain William Cameron Menzies qui, à l’origine, est lui aussi un production designer. Il travaille notamment sur le superbe Le Voleur de Bagdad de Raoul Walsh en 1924, L’aigle noir de Clarence Brown en 1925, ou encore Sa majesté la femme, le deuxième film d’Howard Hawks en 1926. Il est le premier à recevoir l’Oscar de la meilleure direction artistique en 1927 pour le film Colombe (The Dove), de Roland West, et dessine plus tard plus de 200 aquarelles pour Autant en emporte le vent dont il réalise quelques séquences du film.

aquarelles pour Autant en emporte le vent

Menzies passe à la réalisation en 1932 avec Almost Married, mais on lui adjoint souvent un autre réalisateur car s’il maîtrise très bien la partie visuelle d’un film, la direction d’acteur n’est en revanche pas son fort (ce qui sera également le cas sur La vie future). On lui doit également Chandu le magicien avec Bela Lugosi en 1932, Les envahisseurs de la planète rouge en 1953 (dont Tobe Hooper fera un remake en 1986) ou encore The Maze la même année.

affiche de Chandu le magicien et Les envahisseurs de la planete rouge

Côté casting, mentionnons Raymond Massey, qui incarne deux rôles dans le film, celui de John Cabal et de son descendant Oswald Cabal. D’origine canadienne, Massey fait ses débuts à l’écran dans les années 30 en tant que Sherlock Holmes dans The Speckled Band, et La vie future n’est que le 5ème film pour lequel il est crédité. La suite de sa carrière sera jalonnée de grands films, parmi lesquels on peut citer Une soirée étrange de James Whale, La piste de Santa Fé de Curtiz, Les naufragés des mers du Sud de Cecil B. DeMille, Arsenic et vieilles dentelles de Capra ou encore La femme au portrait de Lang et Le rebelle de Vidor.

Il incarne ici un homme déterminé, qui a foi en la science pour faire avancer l’humanité. Il est l’incarnation du progrès, de l’expérimentation.

raymond massey dans La vie future

On peut également citer l’acteur Edward Chapman, qui endosse lui aussi un double rôle, celui de Pippa Passworthy et son descendant Maurice Passworthy. Cet acteur britannique débute à l’écran sous la direction d’Hitchcock dans les années 30 (Meurtre, Junon et le paon), puis on le voit dans le formidable film de Jules Dassin Les Forbans de la nuit ou encore La croisée des destins de Cukor. Ses deux rôles dans La vie future sont ceux d’hommes plutôt dans le doute, qui ne veulent pas voir la réalité en face, parfois un peu lâches.

edward chapman dans La vie future

Enfin, avant d’explorer plus en détails les mondes futurs imaginés par Wells et mis en image par Menzies, évoquons les multiples versions du film, dont le montage connu moult changements au fil du temps.

La première version « brute » fait à l’origine 2h10, mais lors de la sortie au Royaume-Uni le 21 février 1936, la copie dure 108 minutes. Pour la sortie aux USA en avril, le film connaît une première grosse coupe pour une durée de 95 minutes. En 1943, le film ressort en salle avec une durée d’à peine 1h10. Il y a par la suite encore de nombreuses modifications, rallongements et raccourcissements en tous genres, et pendant de nombreuses années, la version accessible fait 89 minutes.

En 2007, le film est restauré et colorisé sous la supervision de Ray Harryhausen, avec une durée de 92 minutes.

Enfin, Criterion sort en 2013 une version HD d’une durée de 98 minutes, et c’est sur celle-ci que se base la suite de notre article.

 

1ère EPOQUE : DESTRUCTION

Revenons sur le générique d’ouverture du film. Le titre, écrit en perspective, est d’abord dans l’ombre, puis s’éclaire peu à peu depuis le fond jusqu’au premier plan, comme pour nous dire qu’il s’agit bien de nous éclairer sur le futur à venir. Sur les choses à venir.

la vie future

Et nous voici ensuite à surplomber une ville nommée Everytown, soit toutes les villes, n’importe quelle ville. Cette volonté de ne pas rattacher le récit à un endroit en particulier traduit bien la direction prise par le script de Wells, à savoir celle de fonctionner par allégories, par symboles. Il n’y a pas de pays ; les ennemis n’ont pas de nom (le peuple des collines) ; la maladie qui décimera une grande partie de la population non plus ; le chef de la civilisation post-apocalyptique se nomme… le Chef.

Ce parti-pris, qui permet de ne pas prendre parti justement, est à la fois une force et une faiblesse pour le film, et notamment pour les personnages. En effet, ceux-ci ne semblent pas doués de vie, d’émotions, mais ne font office que de fonctions dans le récit, et leurs dialogues sont trop écrits. Ils ne parlent pas, ils expriment des idées, des concepts.

Ensuite, un plan plus serré sur le centre-ville nous fait enfin entrer dans ce monde qui va subir toutes sortes de chamboulements. Cet angle de vue sera d’ailleurs réutilisé plusieurs fois dans le film, le décor changeant au fur et à mesure des époques.

La vie future

S’ensuit une séquence de cinq minutes particulièrement brillante, sans dialogues, qui mise sur le montage, le cadrage et un jeu sur le premier plan et le second plan de l’image.

C’est Noël. Un enfant sourit en gros plan. Les vitrines sont illuminées et pleines de jouets. Joie et bonheur. Mais, toujours, en arrière-plan, la menace de la peur et de la mort.

La guerre guette. La guerre, partout, sur des pancartes, des journaux, des affiches. Elle n’est pas encore vraiment là, mais elle rôde, vient parasiter ce bonheur apparent.

menace de guerre dans La vie future

L’occasion pour nous de louer les talents non seulement de la mise en scène de Menzies, qui parvient à faire des miracles lorsqu’il n’est pas écrasé par les protagonistes trop bavards de Wells, mais aussi des deux monteurs du long-métrage dont les noms ne sont pas inconnus : Charles Crichton et Francis D. Lyon. Leur science du rythme est ici d’une maîtrise parfaite, et tous les deux deviendront par la suite réalisateurs (Un poisson nommé Wanda pour Crichton ; quelques westerns avec Joel McCrea pour Lyon).

Après cette première séquence digne d’un film muet, on fait connaissance avec les différents protagonistes, réunis autour d’un sapin de Noël. Si Passworthy tente de rester positif (« Pourquoi ne pas voir le bon côté des choses ? Tu es en forme, tes affaires marchent bien, tu as une femme magnifique, une maison… »), l’inquiétude et la menace d’une guerre imminente est sur toutes les lèvres. Et, déjà, la question du progrès est abordée, thématique principale du film :

« Qu’est-ce qui peut arrêter le progrès ?

– La guerre. »

Et c’est bien ce qui va se passer : la guerre va plonger l’humanité dans le chaos jusqu’au retour à une civilisation primitive, préfigurant les univers post-apocalyptique façon Mad Max. Et lorsque la guerre est déclarée à la radio, il y a à nouveau une séquence sans dialogues qui fonctionne comme un miroir à la première. Cette fois-ci, la guerre n’est plus une menace reléguée au second plan de l’image, elle est bien présente, les soldats défilent, les motos, les véhicules, les armes. L’ennemi, qui n’a de nom que celui d’Ennemi, attaque par le ciel.

Bombardements.

Et c’est là la première vision quasi prophétique du film par rapport à la réalité, qui annonce avec quelques années d’avance le Blitz que va subir le Royaume-Uni lors de l’attaque des nazis entre septembre 1940 et mai 1941. En comparant les images du film avec des photographies d’époque, la ressemblance est troublante !

blitz la vie future

blitz dans La vie future

blitz dans La vie future

à gauche de véritables photos du Blitz, à droite le film

S’ensuit à nouveau une séquence de guerre très réussie, misant elle aussi sur le montage et avec de belles idées de mise en scène. Si les maquettes des tanks ne sont pas toujours convaincantes, celles des avions – filmés comme des essaims d’abeilles bourdonnant dans le ciel – sont en revanche particulièrement réussies.

A ces séquences truquées succède une bataille aérienne entre deux pilotes tout ce qu’il y a de plus réelle, avec des caméras fixées sur les véhicules qui tourbillonnent dans tous les sens. Effets garantis.

Pour clôturer cette première période (1936-1966) et la fin des affrontements militaires, Menzies use encore une fois d’une simple mais belle idée de mise en scène : un soldat mort empalé sur des fils barbelés et un fondu enchaîné qui le fait disparaître pour ne laisser que des bribes de tissus sur les barbelés.

 

2ème EPOQUE : STAGNATION

Après trente ans de guerre, l’humanité est retournée à l’état primitif. Les gens vivent sous terre, la technologie a disparu. La guerre a bien eu raison du progrès.

Pénurie d’essence. Ambiance Mad Max.

Juste avant la fin de la guerre, l’Ennemi a répandu un virus mortel, nommé « wandering sickness », soit la « maladie errante ». Cette nouvelle forme de fièvre « de l’esprit et du corps », qui ne portera pas non plus de nom précis, va plonger le monde dans une ambiance façon Romero et ses zombies, voire The Walking Dead, et annihiler quasiment toute la population mondiale.

Séquence hallucinante digne de La nuit des morts-vivants : un mur décrépit, une main tremblante qui entre dans le cadre par le bas, puis un homme amaigri, transpirant, titubant, les mains tendues en avant, et les badauds qui s’enfuient à sa vue.

« C’est eux ou nous ! », dit un homme (qui deviendra par la suite Le Chef) avant qu’un autre arme son fusil et abatte le pauvre zombie homme infecté.

Quelques instants plus tard, c’est une femme qui connaît le même sort.

« C’est comme ça qu’on traitait les pestiférés au Moyen-Age. », conclut le Dr Harding, médecin qui n’a même plus d’iode pour exercer.

la vie future les zombies

La fièvre passe au bout de cinq ans, tuant la moitié de la population, puis la vie sociale reprend peu à peu. Les animaux sont de retour à l’image : chevaux, moutons, vache. Et l’Histoire se répète : celui qui se fait appeler Le Chef (The Boss), se prenant pour un roi dans sa maison avec lustres, colonnes, trône et peaux de bêtes, ne parle que de guerre et de sa volonté de pouvoir à nouveau faire voler ses avions afin d’anéantir le « Peuple des collines ».

L’Homme n’apprend donc jamais. Ne retient pas les leçons.

Et, un jour, apparaît justement dans le ciel un avion. Le mystérieux pilote ressemble tout d’abord à un extraterrestre, avec son casque immense et sa tenue en cuir. Ce costume est d’ailleurs la seule chose qui reste du travail du peintre et plasticien hongrois Laszlo Moholy-Nagy sur le film.

Laszlo Moholy-Nagy dans La vie future

Cette partie du film est surement la plus faible du métrage, qui voit s’affronter Le Chef et celui qui se révèle être John Cabal, à coups de grandes tirades et de discours pompeux.

Et comme l’Histoire se répète, les bombardements reviennent, eux aussi. Cette fois-ci, les avions futuristes, dont le design rappelle celui du Virgin Galactic qui a emmené le milliardaire Richard Branson dans l’espace en juillet 2021, larguent des « gaz de paix ». Ces gaz endorment la population au sol et permettent de les neutraliser sans violence.

avion virgin galactic et avion de La vie future

L’humanité entre alors dans une nouvelle ère, où il s’agira de « remettre le monde en ordre » et de bâtir une nouvelle civilisation.

 

3ème EPOQUE : RECONSTRUCTION

Encore une fois, une belle séquence sans dialogues nous montre cette fois-ci non pas la destruction d’Everytown mais bien sa reconstruction. Et il ne s’agit pas de rebâtir la ville à partir de ses ruines. On repart de zéro. Et, comme dans le film d’Edgar G. Ulmer Le voyageur de l’espace en 1960, la ville sera dorénavant souterraine. Superbe mélange de miniatures et de matte paintings qui fonctionnent encore très bien 80 ans plus tard.

ville souterraine dans La vie future

Wells voit un futur à l’opposé de Blade Runner : tout est blanc, propre, lumineux. En un mot : aseptisé. Pas étonnant qu’une petite fille demande à son arrière grand-père ce que peut bien vouloir dire « éternuer », lorsque celui-ci lui parle d’une étrange maladie très répandue appelée le rhume. Certes, la vie est plus saine, donc plus longue, mais, comme se le demande un personnage, est-elle pour autant plus joyeuse ?

Wells fustigeait le futur décrit dans le Metropolis de Lang, et il est vrai que le film de Menzies lui est supérieur quant à la prédiction de certains aspects technologiques. Lorsque Lang présentait un robot se transformant en une jeune femme par un procédé relevant plus de la magie que de la science, Wells nous annonce déjà, à peine 10 ans plus tard, l’invention des écrans plats, des hologrammes et des montres connectées. Cette imagerie d’écrans futuristes, motif quasi obligatoire dans tout film de science-fiction et qui peut vite être désuet, est ici particulièrement pertinente par rapport à notre présent, et notamment sur la forme verticale. On croirait voir les personnages utiliser un Smartphone ou une tablette. Et c’est encore plus troublant dans la version colorisée du film.

ecran plats et montres connectées dans La vie future

Un monde moderne « rempli de voix », comme le défini Theotocopulos, l’instigateur de la révolte à venir. Car la rébellion gronde à nouveau. Le peuple voit d’un mauvais œil cette volonté d’envoyer des hommes et des femmes dans l’espace, cette fuite en avant vers un progrès technologique qui ne s’arrête jamais. Comme dans le film de Lang, on retrouve des mouvements de foules, un peuple qui se révolte contre ses dirigeants. Mais il n’est pas question ici de vision marxiste de la société, ce ne sont pas les travailleurs qui se révoltent contre la bourgeoisie. Le peuple se révolte contre un monde trop aseptisé. Les gens veulent éternuer à nouveau. Etre malades, pour mieux se sentir vivants.

Mais Oswald Cabal, descendant de feu John Cabal, celui qui a nettoyé le monde de la vermine, nous donne comme conclusion qu’il « n’y a ni fin ni repos pour l’Homme. Il doit continuer, conquérir, encore et toujours. »

Quitte à détruire son environnement, et lui avec.

Et c’est bien ce que nous sommes en train de vivre aujourd’hui.

 

Conclusion :

Maladroit, voire parfois agaçant, notamment dans ses dialogues et ses acteurs « qui jouent plus des porte-parole d’idées générales que de véritables personnages [et qui] éructent et postillonnent comme rarement au cinéma » comme l’écrit Michel Chion dans son ouvrage Les films de science-fiction, La vie future reste un film très intéressant tant dans sa vision de l’avenir que dans sa mise en scène et ses décors absolument prodigieux.

 


1 Les films des années 20 – Jurgen Muller

2 Bon pied, bon œil – Philippe Garnier – p.16

3 idem – p.15

 


La bande-annonce d’époque :