The Sky Pilot – King Vidor – 1921

The Sky Pilot – King Vidor – 1921

mars 26, 2022 0 Par Nicolas Ravain

Résumé :

Dans un petit village du Nord-Ouest canadien, l’arrivée d’un jeune pasteur, surnommé par les habitants le « Sky Pilot » créé toutes sortes de troubles. D’abord rejeté et agressé, il trouvera ensuite du travail dans un ranch et sauvera d’une mort certaine Gwen, la fiancée de son meilleur ami.

 

Contexte :

En 1921, King Vidor est encore un cinéaste débutant (The Sky Pilot n’est que son septième long-métrage) et Hollywood vient tout juste de naître cinq ou six auparavant. Lorsqu’il débarque sur la côte Californienne, Vidor a des rêves plein la tête et une ambition folle. Dans son autobiographie La grande Parade (A tree is a tree), il raconte : « De nos jours, il serait très coûteux et insensé d’entreprendre la
construction d’un studio complet servant d’atelier à un seul metteur en scène. Mais lorsque je revins à Hollywood, l’ère de l’individualisme régnait dans le monde du cinéma. Chaplin avait son propre studio, ainsi que Mack Sennett, Marshall Neilan, D.W Griffith, Thomas H. Ince et d’autres. Je convainquis donc mon père de vendre son affaire d’assurances pour construire et gérer un studio où nous pourrions réaliser les films King Vidor. Pour 15.000 dollars, un terrain de la taille d’un pâté de maison fut acheté sur Santa Monica Boulevard à Hollywood, où nous construisîmes un plateau fermé et quelques bâtiments figurant un village et faisant office de décors dans les films que je pensais faire. Nous appelions notre studio Vidor Village. »1

Il tourne d’abord deux films dans ces tout nouveaux studios, The Family Honor et The Jack Knife Man en 1920, avant de s’attaquer à cette adaptation d’un roman de Ralph Connor intitulé The Sky Pilot, a Tale of the Foot-Hills, paru en 1899. Ecrivain et pasteur d’origine canadienne, Ralph Connor (de son vrai nom Charles William Gordon) est au début du XXème siècle le romancier canadien le plus lu au monde, vendant des millions d’exemplaires de ses livres.

Charles W. Gordon et son livre The Sky Pilot

L’adaptation cinématographique est signée Faith Green, journaliste new-yorkaise dont c’est ici le premier travail pour le grand écran. Proche de Ralph Connor, elle se spécialisera ensuite dans les adaptations des écrits de l’auteur, en signant quatre en l’espace de trois ans.

On trouve également le nom de John McDermott au scénario, auteur de l’histoire du Just Pals de John Ford l’année précédente, et qui écrit et réalise en 1921 Patsy avec Zasu Pitts dont King Vidor fera un remake en 1928 avec Marion Davies dans le rôle titre. Il est également l’auteur du script d’un autre film de Vidor en 1923, La sagesse des trois vieux fous (Three Wise Fools).

The Sky Pilot est produit par Cathrine Curtis, dont c’est l’unique crédit recensé sur IMDb : « The Sky Pilot fut réalisé pour honorer le contrat que j’avais signé avec une femme, grande, belle et dynamique qui avait réuni la quasi totalité de l’argent pour le film. Je dis ‘presque’, car au milieu du film, l’argent fut épuisé. »2
A la photographie, on retrouve ici aussi deux noms, celui de L. William O’Connell et de Gus Peterson. Ce dernier commence en 1914, The Sky Pilot étant déjà sont 14ème long-métrage, puis tourne beaucoup de westerns de série B dans les années 30, notamment les premiers John Wayne.

O’Connell, quant à lui, fait ici quasiment ses débuts (son 4ème long-métrage) et connaîtra par la suite une carrière plutôt intéressante, tournant pour Allan Dwan, D.W Murnau (le mythique Four Devils) et étant de la partie sur les débuts de carrière de cinéastes comme Howard Hawks, John Farrow, André de Toth ou encore Budd Boetticher.

affiche de One mysterious night et Passport to Suez

A gauche l’affiche du premier film de Budd Boetticher, à droite celle du premier film américain d’André de Toth

 

Le casting comporte trois noms principaux : John Bowers, Colleen Moore et David Butler, « tous de grandes vedettes »3 comme le dit Vidor, même si leur noms sont aujourd’hui tombés dans l’oubli.

John Bowers début en 1914 et devient rapidement une star, The Sky Pilot étant déjà son 43ème long-métrage ! Il campe ici le rôle principal, celui du pasteur venu répandre la bonne parole au fin fond du Canada enneigé. Malheureusement, l’arrivé du parlant met un terme à sa carrière et l’acteur se suicide en 1936 à l’âge de cinquante ans en se noyant dans l’océan Pacifique. Sa mort aurait d’ailleurs inspiré celle du personnage de Norman Maine, star déchue interprété par Fredric March dans le chef-d’œuvre de William A. Wellman Une étoile est née (A Star is Born) en 1937.

John Bowers

D’abord face à lui, puis à ses côtés, figure donc David Butler dans le rôle de Bill Hendricks. Butler commence à percer en 1918/1919, tourne chez Tod Browning, John Ford ou encore Frank Borzage. En 1929, il met un terme à sa carrière d’acteur et passe de l’autre côté de la caméra, mettant en scène plus de 50 films. Une filmographie peu connue à postériori, dont les titres les plus célèbres aujourd’hui sont peut-être La poursuite dura sept jours (The Command) et La blonde du Far-West avec Doris Day en Calamity Jane, et pourtant Butler « apparaît chaque année de 1937 à 1960 sur la liste, établie par la revue Fame, des metteurs en scène totalisant le plus grand nombre de succès au box-office »4.

Enfin, le personnage féminin est confié à Colleen Moore, actrice introduite à Hollywood par le biais de son oncle, éditeur du Chicago Tribune et connaissance de D.W Griffith. Elle joue notamment dans de nombreux westerns aux côtés de la superstar Tom Mix et fait partie des actrices les mieux payées du muet. En 1923, elle interprète le rôle de Patricia Frentiss dans Flaming Youth et lance ainsi la mode du « flapper look » : femmes garçonnes, coupe au carré et jupe laissant apparaître le genou.

Colleen Moore et son flapper look

Colleen Moore et son célèbre « flapper look » à gauche, et dans The Sky Pilot à droite

Comme mentionné sur tous les cartons du film, The Sky Pilot est distribué par la First National Pictures, association de propriétaires de salles de cinéma créée par Thomas L. Tally en 1917. La compagnie a signé des contrats juteux avec Charlie Chaplin, dont elle distribue le premier long-métrage The Kid la même année que The Sky Pilot, ainsi que Mary Pickford. La firme distribue les films de prestigieux cinéastes comme D.W Griffith, Frank Borzage, Buster Keaton et Maurice Tourneur puis se lance même dans la production à partir de 1924, produisant des classiques comme Le monde perdu, Les anges aux figures sales, Les aventures de Robin des bois ou encore Le petit César et Capitaine Blood.

Le tournage se déroule principalement à Truckee, dans le nord de la Californie, et n’est pas de tout repos, Vidor et son équipe devant faire face à des problèmes financiers et surtout météorologiques. Alors qu’une séquence importante se déroulant l’été doit être tournée, la neige se met soudain à tomber abondamment : « Avec l’aide des habitants, nous avons donc improvisé une équipe chargée d’enlever la neige tout le long de la rue frontière et sur toutes les collines avoisinantes, afin que nous puissions terminer nos deux journées de tournage sans neige. »5

Un peu plus tard, afin de mettre en boîte le final qui voit la destruction d’une partie du décor dans un paysage enneigé, le phénomène s’inverse : « Ainsi, il y eut une succession de magnifiques journées d’automne sans un seul nuage dans le ciel. Tout le monde priait pour le retour de la neige mais celle-ci ne réapparaissait pas. Finalement, il fallut commander à Sacramento un wagon de sel et ceux-là même qui avaient enlevé la neige nous ont aidé à recouvrir le décor de quelques couches de sel de table. »6

the sky pilot de King Vidor

Colleen Moore dans la neige (à gauche), King Vidor et son caméraman lors du tournage (à droite)

 

Analyse :

A l’image de son titre un peu trompeur évoquant d’abord un film sur un aviateur, The Sky Pilot ne cesse de se dérober, d’aller là où on ne l’attend pas, de déjouer les attentes. Sur IMDb, le long-métrage est d’ailleurs rattaché au genre « drame », alors qu’il s’agit quand même clairement d’un western : il y a des cow-boys, un saloon, des fusillades, des bagarres, des poursuites à cheval et du rodéo. Un western, oui, mais pas vraiment comme les autres non plus. L’ouverture du film va également dans ce sens, avec ces plans larges des montagnes canadiennes, et puis cet homme qui chevauche à l’horizon avant d’arrivée dans le village de Swan Creek.

Sauf que « l’étranger » porte un parapluie sur l’épaule au lieu d’un fusil, un nœud papillon au lieu du traditionnel bandana et que sa monture est une mule et non un grand et fort cheval. Lorsqu’en plus, en arrivant au saloon, il demande à boire de l’eau et non du whisky, il est clair que l’on n’a pas à faire à un cow-boy ordinaire.

l'arrivée de John Bowers dans The Sky Pilot

Celui qui est aussitôt surnommé le Sky Pilot par les soiffards du saloon est tout d’abord bien accueilli par la population. Comme il n’y a pas d’Eglise dans ce coin paumé, son premier sermon se fera donc dans le saloon, malgré les protestations du tenancier. L’ambiance est légère, ponctuée de gags : le type qui tombe à la renverse de sa chaise lorsqu’il découvre que le nouvel arrivant est un homme de foi ou encore les cow-boys qui défilent devant lui les mains jointes en faisant les idiots. C’est que tout ça n’est pas très sérieux, pour eux. Tout comme la parabole de Jésus transformant l’eau en vin. Eh ben voyons ! Des blagues sont faites, ça se marre.

Et, en l’espace de quelques secondes, ça dégénère. Le pasteur gentil et souriant en vient aux mains. Une violente bagarre l’oppose à Bill Hendricks, qui termine le visage en sang. Rapidement, le pasteur est chassé hors de la ville sous des jets de cailloux.

proères et bagarres dans Sky Pilot

Lorsque son adversaire le rejoint, du sang encore frais lui coulant de la bouche et des oreilles, on s’attend à un nouvel affrontement entre les deux hommes. Ou peut-être une course-poursuite.

Mais non.

Rien de tout ça.

C’est la réconciliation immédiate. Les deux hommes se serrent la main et le pasteur va même nettoyer tendrement les blessures de son nouvel ami. On pourrait s’interroger sur ce revirement soudain et le trouver incongru, mais en réalité toute la problématique du film se trouve ici : ce n’est pas aux habitants du village de changer et d’accepter le pasteur, c’est au pasteur de faire ses preuves, de montrer qu’il est avant tout un homme comme les autres, pour se faire accepter des villageois. Et pour Bill Hendricks, un type qui se bat avec autant de hargne doit mériter son respect.

réconciliation dans Sky Pilot

A partir de ce moment-là, le pasteur devra donc réussir une série d’épreuves, la première étant une séance de rodéo particulièrement remuante qui le voit être violemment éjecté au sol. Il est recueilli par The Old Timer (Harry Todd), un cow-boy vieillissant, élevant seul sa fille Gwen et en conflit avec sa foi en Dieu suite à la mort de sa femme. Lorsqu’on fait sa connaissance dans le film, il est en train de lire la Bible, qu’il va soudain refermer et jeter au feu ! Il est le seul personnage que l’on voit prier dans le film, le seul qui va connaître un cheminement spirituel, sans que le film ne verse jamais dans les bondieuseries. On ne verra à ce propos jamais aucun crucifix ni aucune représentation christique dans le long-métrage.

S’ensuivent une série d’épreuves pour le pasteur, toutes plus dangereuses les unes que les autres et mettant son courage à rude épreuve. Dans une séquence d’abord drôle puis presque inquiétante, il va par exemple réussir à calmer un cow-boy complètement ivre qui tire dans tous les sens, se croyant attaqué par des démons habitants dans le poêle de chauffage. Ses collègues, que l’on devine habitués par ce cirque, lui en seront aussitôt reconnaissants.

le saoulard dans The Sky Pilot

Le pasteur sera ensuite victime d’une chute vertigineuse, provoquée par les coups de feu d’une bande de scélérats qui projettent de voler du bétail, depuis un pont jusque dans une rivière en contrebas, réalisée astucieusement grâce à des effets spéciaux mêlant plusieurs caches et superpositions.

Mais le clou du film, l’épreuve ultime pour notre pasteur apprenti cow-boy, est cette séquence dans laquelle Gwen chute de cheval et qu’un troupeau de centaines de bœufs fonce droit sur elle. Alternant plans larges en plongée, travellings, panoramiques et gros plans sur les bêtes déchainées, ce morceau de bravoure filmique est une brillante réussite, comme celle de la descente des rapides dans le film suivant de Vidor intitulé Love Never Dies.

Le pasteur s’interpose entre les animaux et la pauvre jeune femme inconsciente mais n’empêchera pas le verdict médical de tomber un peu plus tard : Gwen ne pourra plus jamais marcher. Gwen, la jeune femme qui fait son entrée dans le film en tenue de cow-girl, chemise, bandana, chapeau, sur-pantalon et revolver à la ceinture, menant ses chevaux à toute vitesse.

Colleen Moore dans The Sky Pilot

Et à nouveau, le film change d’ambiance et de ton, avec l’arrivée de la neige, de Noël, du sapin et de Santa Claus lui-même venu faire sa distribution de cadeaux. L’occasion pour Vidor et ses cameramen de mettre en boîte de beaux plans, que ce soit des travellings arrières accompagnants les cavaliers dans les paysages enneigés ou plus simplement des plans fixes dans lesquels les silhouettes noires se détachent sur le blanc immaculé. L’occasion également de capter la longue et impressionnante glissade d’un cheval et de son cavalier le long d’une pente abrupte.

cavaliers dans la neige dans Sky Pilot

Enfin, le pasteur est accepté par les habitants qui lui ont réservé le plus beau des cadeaux de Noël : une église en bois toute neuve ! Malheureusement, ce présent n’aura qu’une durée de vie très courte car l’église est incendiée par le gang de voyous du coin.

Un mal pour un bien : voulant sauver le pasteur des flammes, Gwen la paraplégique se met soudain debout sur ses deux jambes pour le tirer d’affaire. Cette guérison n’a rien d’un miracle, il s’agit plutôt de montrer la « foi de Vidor en la toute puissance de la pensée positive, exempt de puritanisme ou de moralisation chrétienne, qui célèbre les vertus de l’autonomie et la vitalité inhérente des communautés rurales. »7

eglise dans Sky Pilot

Conclusion :

Le grand critique américain Andrew Sarris disait de Vidor qu’il « a créé plus de grands moments et moins de grands films que les autres réalisateurs de sa stature ». The Sky Pilot, œuvre de jeunesse, n’est pas un chef-d’œuvre mais contient bien quelques séquences marquantes et la promesse de grands films à venir.

Enfin, notons que le film a été restauré et projeté au Festival de Berlin en 2020, et qu’une édition digne de ce nom devrait donc paraître dans un futur proche.

un plan restauré du film The Sky Pilot


1 La grande parade – King Vidor – p.67

2 idem p.69

3 idem p.69

4 50 ans de cinéma américain – Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon – p.343

5 La grande parade – King Vidor – p.70

6 idem

7 King Vidor, American – Raymond Durgnat et Scott Simmon – p.38/39