Les révoltés de la cellule 11 (Riot in Cell Block 11) – Don Siegel – 1954

Les révoltés de la cellule 11 (Riot in Cell Block 11) – Don Siegel – 1954

mars 21, 2021 0 Par Nicolas Ravain

Résumé : 

Une révolte éclate au sein d’une prison. Les détenus réclament de meilleures conditions de détention, sous peine d’exécuter des gardiens qu’ils détiennent en otage. Rapidement, la presse et l’armée s’en mêlent et des tensions apparaissent entre les détenus eux-mêmes.

 

Analyse : 

Pour son huitième long-métrage en tant que réalisateur, Don Siegel signe un brûlot dont le sujet est à l’initiative du producteur Walter Wanger, qui a lui-même été incarcéré après avoir tiré sur l’agent de sa femme Joan Bennet et qui souhaite donc montrer les nombreux maux du système pénal américain de la façon la plus juste possible. Le cinéaste adopte donc une approche documentaire : Siegel retravaille le script à l’intérieur même de la prison afin de lui donner « un côté réel […] et qu’il soit empreint de l’effervescence qu’il a bel et bien »1, le film est tourné au sein même de la célèbre prison de Folsom, à l’exception de quelques séquences dans les cellules en raison de problèmes liés à l’éclairage, et de vrais détenus et gardiens jouent des rôles de figurants.

Pas étonnant que le film s’ouvre sur de véritables images d’archives de révoltes ayant eu lieu aux USA puis par une courte interview de Richard A. McGee, porte-parole de l’Association des Prisons Américaines, qui explique l’origine de ces émeutes comme étant une « conséquence directe de la négligence [des] institutions pénales » et dont la responsabilité revient aux « dirigeants politiques, gouverneurs, législateurs, mais aussi toutes les branches du gouvernement [ainsi que] la population toute entière. »

Le film refuse donc tout manichéisme, comme l’explique très bien Siegel lui-même : « Les maux de la prison sont montrés à travers les révoltés, et les gardes, plutôt que d’être sadiques, sont montrés comme étant fatigués, surchargés de travail, sous-payés. Le directeur, au lieu d’être malhonnête, apparaît comme un homme qui doit vraiment faire face à un énorme problème. »2

La preuve par ce dialogue, qui intervient entre deux gardiens lorsque l’émeute a éclaté :
Gardien 1 : Nous y revoilà !
Gardien 2 : Ouais, et pour 50 dollars la semaine.
Tout est dit.

Après cette introduction documentaire qui pose les bases de l’approche et du discours de Siegel, la fiction peut débuter et nous pénétrons enfin à l’intérieur du pénitencier. Ici, les plans sont symétriques, les couloirs vides, dominés par le métal froid.

Inhumain.

Mais là encore, la fiction se veut quasi documentaire, avec une longue séquence de cinq minutes qui nous décrit le fonctionnement de la livraison des repas aux détenus du fameux block n°11. Les mêmes plans se répètent, les mêmes gestes, les mêmes bruits. Il y a des gros plans sur des haut-parleurs, des coups de téléphones, des chiffres, des voyants qui clignotent.

La routine.

Si bien qu’au bout de dix minutes, il n’y a toujours pas d’intrigue à proprement parler, et pas de personnages à qui s’identifier. Seulement des types qui font leur boulot d’un côté, et des types enfermés de l’autre. Prisonniers qui sont plusieurs fois éclairés par un halo de lumière, comme pour appuyer leur solitude et réduire encore plus l’espace autour d’eux.

Et soudain, la révolte éclate. Comme ça. Sans crier gare. Nous passons brutalement de la description documentaire du quotidien au sein du pénitencier à l’irruption inattendue de la violence lorsqu’un prisonnier assomme un maton. Et la musique de faire également son apparition dans le film, pour basculer tout à fait dans la fiction.

Et tout va très vite. Les détenus ouvrent les portes des cellules des autres détenus, et l’on retrouve alors les mêmes plans qu’au début lors de la séquence de la livraison des repas mais cette fois-ci, le cadre est légèrement penché, soulignant par là que l’ordre établi a volé en éclat, que le quotidien a basculé dans le chaos. Les couloirs ne sont plus vides et silencieux mais pleins de bruits et de fureur.

Et le directeur, en apprenant ce qui vient d’arriver : « Je vous avais dit que ça nous pendait au nez : il y a des types qui dorment par terre au bloc 4. » Encore une fois, cette courte ligne de dialogue, très humaine, empathique, est aussi surprenante que terriblement lucide : on s’attendrait à une réaction pleine de colère, autoritaire, vengeresse, mais tout ce qu’on a est cette constatation en forme d’avertissement.

S’ensuit alors une lutte féroce des détenus qui vont tout tenter pour faire entendre leurs voix et clamer leurs revendications, avec à leur tête le détenu James Dunn, interprété avec force par Neville Brand, acteur à la notoriété discrète mais que l’on a pu voir chez Preminger, Milestone, Parrish, Dieterle, Karlson, Boetticher, Walsh, Hathaway, Aldrich, Mann, Fleischer ou même Tobe Hooper, rien que ça ! Un comédien trapu, dont le personnage s’avère aussi inquiétant et charismatique qu’il n’est touchant dans la dernière séquence du film.

La presse en prend pour son grade aussi dans le film, décrite comme manipulatrice et avide de sensations fortes. Ainsi, lorsque Dunn se présente pacifiquement devant un groupe de journalistes avec une chaîne métallique à la main, on entend une voix demander : « Dunn, levez cette chaîne. Ayez l’air féroce ! » Au final, les médias se foutent pas mal des revendications des détenus, préférant les « montrer comme des chiens enragés », selon les mots de Dunn lui-même. On retrouve d’ailleurs cela dans les images d’archives du début du film, dans lesquelles les révoltés sont décrits comme des fous qui détruisent tout ce qui leur tombe sous la main.

En témoigne cet échange, encore une fois simple mais efficace, entre un journaliste et Dunn :

Journaliste : Les gardiens ont des femmes et des enfants.
Dunn : Nous aussi.
Journaliste : Mais vous ne vous faites pas tuer.
Dunn : Nous mourrons à petit feu.

Et Dunn et le directeur de la prison de constater que leurs revendications sont finalement les mêmes, et que seuls les moyens diffèrent pour obtenir satisfaction. Car, comme le dit le directeur: « Parfois, une mauvaise chose produit de bons effets. »

Alors, les révoltés du block n°11 obtiendront-ils gain de cause ?

Et à quel prix ?

 

Conclusion : 

Avec Les révoltés de la cellule 11, Don Siegel signe un film très juste sur les conditions de vie des détenus dans les années 50, véritable brûlot qui n’hésite pas à dénoncer les dysfonctionnements d’un système en train de s’effondrer dans « ce qui reste sans doute le meilleur film de prison jamais réalisé aux Etats-Unis »3 selon Peter Bogdanovich dans l’introduction à sa précieuse interview qu’il a faite du cinéaste en 1968.

Et on ne lui donne pas tort.


1 Les maîtres d’Hollywood – Entretiens avec Peter Bogdanovich – Tome 2 – p.300

2 idem – p.300

3 idem – p.282


Pas de DVD ni de Blu-Ray en France.

La bande-annonce : 





LES REVOLTES DE LA CELLULE 11 (RIOT IN CELL BLOCK 11)

Réalisation : Don Siegel

Scénario :  Richard Collins

Photographie : Russell Harlan – Noir et blanc

Musique : Herschel Burke Gilbert

Distribution : Allied Artist

Durée : 80 minutes

Année : 1954

Pays : USA

Distribution :

Neville Brand : James V. Dunn

Emile Meyer : Warden Reynolds

Frank Faylen : Haskell

Leo Gordon : Crazie Mike Carnie