Les mains qui tuent (Phantom Lady) – Robert Siodmak – 1944

Les mains qui tuent (Phantom Lady) – Robert Siodmak – 1944

mars 13, 2021 0 Par Nicolas Ravain

Une fois n’est pas coutume, il ne s’agira pas cette fois-ci d’analyser ce film de Robert Siodmak dans sa globalité mais de nous attarder sur une seule séquence.

Et quelle séquence !

Car Les Mains qui tuent, excellent thriller filmé dans un noir et blanc absolument somptueux, contient une séquence proprement hallucinante de sexe sauvage ! Voire, disons-le carrément, de gangbang.

Quoi ?

Oui, oui, vous avez bien lu : un gangbang ! A savoir : une jeune femme offerte à un groupe d’hommes qui la prennent de toutes parts, de tous les côtés, avec de la sueur, des membres démesurés et une puissante montée orgasmique.

Heu… vraiment ?

Oui, vraiment !

Mais bien sûr, on ne voit rien de tout ça à l’image. On est dans un film noir hollywoodien des années 40, pas sur pornhub. A l’image, il y a seulement une femme au milieu d’un groupe de musiciens de jazz.

Et pourtant, tout est là.

Avant de regarder la séquence en question, une brève remise en contexte narratif s’impose : la jeune femme, jusque-là « bien sous tout rapport », sage secrétaire en tailleur secrètement amoureuse de son patron injustement reconnu coupable du meurtre de sa femme, va endosser le rôle de la fille « légère » en enfilant une robe sexy, des bas résilles, des bijoux tape à l’œil et mâchant outrageusement du chewing-gum afin de rendre fou de désir un musicien dans l’espoir de réussir à lui soutirer une information importante.

Voilà.

Vous savez tout.

Vous pouvez vous rincer l’œil, à présent, bande de coquinous !

 

 

Alors, vous avez vu ça ?

La façon dont cette séquence est construite, avec tous ces types qui brandissent leurs instruments phalliques en direction de la jeune femme, par devant, par derrière, sur les côtés ; d’autres qui tapent sur des cordes, des touches ou une batterie ; le miroir qui semble pulser ; l’amorce sur les jambes de la femme avec le batteur qui s’acharne à taper d’un mouvement régulier de haut en bas au second plan ; le gros plan sur l’entrejambe du batteur ; et enfin ce champ/contre-champ entre la femme en contre-plongée, toute sourire, au 7ème ciel, et le batteur en gros plan suant et le visage déformé par un rictus d’extase.

Et puis, pour terminer, ce petit signe de tête de la femme qui dit : « Allez, viens maintenant, on va s’envoyer en l’air POUR DE VRAI ! »

Une séquence d’une audace folle, parfait exemple de ce que peut être l’équivalent d’une métaphore au cinéma, faisant appel tant au cadrage, qu’au montage et à la bande-son, et qui permet à Siodmak de faire passer quelque chose de sulfureux sans craindre les foudres de la censure. Impossible de faire couper au montage cette séquence de sexe débridé étant donné qu’on ne voit en réalité rien d’explicite, à peine une paire de jambes en résilles.

Tout simplement brillant !

Ne voulant pas spoiler la fin du film, on peut tout de même signaler rapidement qu’une autre séquence fonctionne aussi sur une métaphore sexuelle, mais cette fois-ci il n’y a là rien de festif ni d’orgasmique puisqu’il s’agit d’une scène de meurtre. On y voit un tueur psychopathe allongé sur un lit, qui demande à la jeune femme de venir s’asseoir près de lui, qui lui prend la main pour se caresser le front, qui défait sa cravate, lentement, puis qui l’agite comme une cravache…

Et de se rappeler ce que disait Truffaut à propos d’Hitchcock : filmer les scènes de sexe comme des meurtres, et les meurtres comme des scènes de sexe.

CQFD