L’inspiratrice (The Great Man’s Lady) – William A. Wellman -1942
Synopsis :
1942 : on est sur le point d’inaugurer la statue de feu le sénateur Ethan Hoyt (Joel McCrea), le pionnier à l’origine de la construction de la ville de Hoyt City. Tous les plus grands journaux ont envoyé leurs reporters sur place, espérant que la centenaire Hannah Sempler (Barbara Stanwyck) leur en révèlera plus sur ce grand homme qu’elle semble avoir très bien connu. Mais la vieille femme veut garder secrète la relation qu’elle eut avec celui que l’on célèbre aujourd’hui ; elle chasse tous les journalistes de sa maison sauf une jeune femme (Katherine Stevens) avec qui elle se sent en confiance. Cette dernière lui avoue être en train d’écrire une biographie sur le sénateur. Pour éviter les erreurs, Hannah décide de lui conter son histoire avec le fondateur de la ville…
Analyse :
Je tiens personnellement William A. Wellman pour l’un des plus grands réalisateurs de toute l’Histoire du cinéma. Pourtant, force est de constater que son nom est resté relativement méconnu, du moins plus en retrait que ceux de Raoul Walsh, John Ford, Frank Capra ou encore Michael Curtiz. Et pourtant, sa filmographie est tout à fait brillante et passionnante, le cinéaste ayant œuvré dans une multitude de genres différents, et l’on peut amèrement regretter la perte définitive ( ?) d’une dizaine de ses longs-métrages muets. A noter que son film Les Ailes (Wings) est le tout premier long-métrage à recevoir l’Oscar du meilleur film en 1927 – et quel film !
Mais revenons à nos moutons.
Ou nos chevaux, en l’occurrence, même si L’inspiratrice peut effectivement se ranger dans la catégorie des westerns sans en être un vraiment.
Le film débute par un générique nous présentant une statue cadrée en plongée avec une grande ombre derrière elle et une petite silhouette à côté.
Dès cette première image, tout le propos du film est posé : la statue n’est pas filmée en contre-plongée, comme on le ferait pour lui accorder toute son importance et la glorifier, mais bien vue d’en haut, en l’écrasant, la démythifiant ; Wellman nous dit ainsi d’emblée que le sujet de son film est l’ombre derrière la statue plutôt que la statue elle-même, qui est d’ailleurs éclairée d’une façon telle qu’on ne la distingue pas très bien.
Ensuite, le film débute avec un plan sur un fauteuil vide. Puis la caméra recule dans un long travelling arrière, tout en prenant de la hauteur, pour révéler une vieille bâtisse à l’ancienne coincée entre deux buildings modernes.
Il s’agira donc de nous raconter l’histoire de cette ville, en confrontant le passé et le présent dans un seul et même plan, plan qui va lui-même en arrière tant dans l’espace que dans le temps. Et il s’avère que ce plan n’est pas uniquement symbolique et purement esthétique mais correspond en réalité au point de vue d’un journaliste qui, posté en haut d’un building, observe la maison d’Hannah aux jumelles. Nous voilà donc passés de la Grande Histoire à la petite histoire en quelques secondes par une mise en scène aussi ingénieuse que virtuose.
L’entrée en scène du personnage quasi centenaire d’Hannah Hoyt (fabuleuse Barabara Stanwyck), celle qui se tient donc dans l’ombre de la statue, la « great man’s lady » du titre, n’intervient qu’au bout de presque dix minutes de métrage et se fait par le fond du cadre.
Tous les regards sont tournés vers celle dont on ne cesse de parler depuis le début, et la voilà qui sort de ses coulisses, qui quitte le hors- champ pour être enfin dans la lumière, marchant à petits pas et s’adressant d’une voix douce aux journalistes intrusifs par des mots secs, le tout sans aucune musique.
Si Joel McCrea peut sembler manquer un peu de charisme, il me semble que ce n’est pas la faute à un mauvais casting ou une interprétation un peu faible, au contraire, cela rejoint tout à fait le discours que véhicule le film, à savoir que derrière les mythes, derrière les grandes statues, il y a parfois des types seulement « normaux », des bons gars que l’Histoire a érigé en surhommes qu’il n’étaient pas en réalité. Ethan Hoyt n’aurait pas pu être joué par un Gary Cooper par exemple, ou un Clark Gable, parce qu’ils étaient eux-mêmes des mythes, des types trop robustes, trop surs d’eux, véhiculant avec eux toute une imagerie de grands héros.
Le film fait donc vraiment la part belle à Barbara Stanwyck, dressant le portrait d’une jeune femme tantôt naïve et immature, tantôt battante et déterminée, tantôt femme d’âge mûr blessée et désillusionnée par les épreuves de la vie et enfin vieille dame réaliste mais jamais aigrie. Wellman a d’ailleurs beaucoup mis en scène les femmes dans ses films, et souvent en tant que personnage principal (on pense à l’extraordinaire Safe in Hell, à L’ange blanc, Frisco Jenny ou encore le superbe Une étoile est née), jusqu’à réaliser un western admirable racontant le périple d’un groupe de femmes traversant les Etats-Unis dans le bien nommé Convoi de femmes (Westward the Women-1951).
Le film comporte à ce propos un dialogue résolument féministe et plutôt drôle dans lequel Ethan Hoyt reproche au père d’Hannah de parler de sa fille comme on parlerait d’une vache. Pour Ethan, il ne s’agit pas de posséder une femme, on ne peut pas les attacher et les marquer au fer rouge comme du bétail, mais de les traiter comme des reines.
On trouve d’autres pointes de comédies dans le film, presque dignes du burlesque, notamment une séquence savoureuse qui commence comme une scène de séduction et qui verra finalement Hannah demander à Ethan de se mettre à quatre pattes par terre pour ramper comme un indien afin de mieux reluquer son derrière !
Il y a aussi cette séquence où l’on voit Ethan jouer et perdre tout leur argent et leur bétail dans une partie de carte. On ne le voit pas perdre, mais un raccord sur les animaux quittant leur ferme nous le fait comprendre. Hannah va ensuite aller tout récupérer en misant un baiser. A nouveau, on ne la voit pas perdre et donner ce baiser, mais le même raccord sur les animaux rentrant tous au bercail cette fois-ci nous le fait comprendre.
Au-delà de la comédie, Wellman met également en boîte d’efficaces séquences plus sombres, et particulièrement celle de la mort des jumeaux du couple. A la suite d’un terrible accident de carriole, on voit alors un cheval en bois qui tourbillonne et disparaît sous la surface de l’eau ainsi qu’une poupée sous la pluie.
Tout est dit.
On peut également évoquer une séquence tout à fait déroutante, lors de la confrontation entre Ethan, Hannah et son prétendant Steely (excellent Brian Donlevy) durant laquelle les personnages sont plongés dans l’obscurité pendant près de trois minutes ! TROIS MINUTES ! On peut imaginer que Wellman a dû se battre pour imposer cette idée audacieuse – « quoi ?! une scène aussi importante et le public ne verra même PAS le visage des stars ?! est-ce que vous avez perdu la tête Bill ?! » – où les personnages ne sont plus identifiables que par leurs silhouettes : Hannah et sa robe, Ethan et son chapeau, l’amant et son costume bien taillé. Et le spectateur de ne plus se fier qu’à leur voix pour imaginer leurs réactions.
Enfin, terminons par une dernière belle idée de mise en scène et de montage, lorsque le couple se tient devant une immense étendue déserte traversée par une caravane de pionniers où ils projettent de bâtir leur future ville, et la ville telle qu’elle sera effectivement dans le futur, avec son lot de buildings, d’apparaître en surimpression.
Conclusion :
William A. Wellman Est Grand !
Gloire à Lui !
Le film n’existe pas en France sur support physique, mais on peut le retrouver chez Universal en zone 1 ici.
La bande-annonce originale du film :
L’INSPIRATRICE (THE GREAT MAN’S LADY)
Réalisation : William A. Wellman
Scénario : W.L River, d’après l’histoire The Human Side de Vina Delmar, Seena Owen et Adela Rogers St. Johns
Photographie : William C. Mellor – Noir et blanc
Musique : Victor Young
Production : Paramount Pictures
Durée : 90 minutes
Année : 1942
Pays : USA
Distribution :
Barbara Stanwyck : Hannah Sempler
Joel McCrea : Ethan Hoyt
Brian Donlevy : Steely Edwards